Assassinat de Pierre Goldman, la main du Milieu marseillais

La sortie du film de Cédric Kahn, "Le Procès Goldman", remet en lumière la mort en 1979 à Paris de l'activiste-braqueur. L'affaire n'a jamais été élucidée par la police et la justice. Des éléments et des témoignages montrent toutefois qu'il est tombé sous les balles de tueurs liés au clan Zampa.

20 septembre 1979. Il fait chaud sur Paris. Vers 12 h 30, un homme d'une trentaine d'années sort d'un immeuble pour acheter ses journaux. File d'un pas pressé devant l'hôpital de la Croix-Rouge. Un coup de feu claque, la balle rate sa cible. Les suivantes touchent par-derrière au dos, au bras, à la tête. Les trois dernières sont tirées à bout portant. Dans le coeur. "Por aquí, hombres !", ordonne une voix aux deux tueurs. Par ici, les gars... Ils courent à s'en faire péter les tempes. Rejoignent un troisième homme. S'engouffrent dans une voiture rouge immatriculée 94, pour le Val-de-Marne. Démarrent en trombe.

Une demi-heure plus tard, une voix sourde contacte le standard de l'Agence France Presse. Lit un communiqué : "Aujourd'hui, Pierre Goldman a payé ses crimes. La justice du pouvoir ayant montré une nouvelle fois ses faiblesses et son laxisme, nous avons fait ce que notre devoir nous commandait. Nous revendiquons cet acte au nom du groupe 'Honneur de la police'". Une signature lourde de sens : quatre mois plus tôt, cette organisation jusqu'alors inconnue a fait exploser la voiture d'un syndicaliste CGT.

Ainsi se termine brutalement la vie de Pierre Goldman. Le 27 septembre, pour son enterrement, ils sont 20 000. Au premier rang, les copains gauchistes des années 1960, Krivine, Kouchner, Butel, July. Simone Signoret et Yves Montand. Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre. Venus saluer le karatéka bastonneur de fachos, le guérillero parti se battre au Venezuela, le miraculé de la justice qui l'avait condamné à perpétuité pour avoir assassiné deux pharmaciennes et blessé un policier en 1969, l'écrivain des Souvenirs obscurs d'un Juif polonais né en France. Libération parle de "scénario fasciste", d'"assassinat politique". La revue Les Temps modernes dénonce des "forces obscures". Pour beaucoup, c'est l'esprit de Mai 68 qui est tombé dans le sang.

21 septembre 1979, la première page de "Libération", journal qui publiait des articles de Pierre Goldman / Collection Promemo

21 septembre 1979, la première page de "Libération", journal qui publiait des articles de Pierre Goldman / Collection Promemo

21 septembre 1979, la première page de "Libération", journal qui publiait des articles de Pierre Goldman / Collection Promemo

"Le Procès Goldman", un film de Cédric Kahn avec Arieh Worthalter / Moonshaker

"Le Procès Goldman", un film de Cédric Kahn avec Arieh Worthalter / Moonshaker

"Le Procès Goldman", un film de Cédric Kahn avec Arieh Worthalter / Moonshaker

"Mystique révolutionnaire"

Quarante-quatre ans et une poignée de jours plus tard, le meurtre de Pierre Goldman provoque encore une profonde fascination, régulièrement entretenue par des livres, des émissions de télévision, des articles, etc. Dernier signe en date, Le Procès Goldman, un film de Cédric Kahn qui vient de sortir dans les salles. "Il appartenait typiquement à la génération de 1968, analysait l'avocat Georges Kiejman, qui le défendit lors du second procès qui l'innocenta de l'affaire des pharmaciennes. Il en représente le côté romantique, desperado, la mystique révolutionnaire, le sentiment que les individus peuvent contribuer aux mouvements de l'Histoire, alors qu'aujourd'hui, nous sommes noyés dans les préoccupations de confort matériel." Détail people qui excite également une certaine presse, Pierre était le demi-frère de Jean-Jacques, le chanteur de Je marche seul aujourd'hui retiré à Londres...

Qui a tué le militant d'extrême gauche, qui occupa ses derniers mois à l'écriture d'articles pour Libération et Le Nouvel observateur, autant qu'à consumer ses nuits dans les boîtes afro-cubaines de Paris ? Responsable de l'enquête entre 1979 et 1982, l'ex-commissaire Marcel Leclerc balayait voici une vingtaine d'années les pistes suivies à l'époque : "Des responsables de syndicats de police classés à l'extrême droite ont été entendus, ainsi que des militants du FN proches de François Duprat (1) ; des truands associés à Charlie Bauer ont été soupçonnés mais ils étaient incarcérés ; on a parlé d'une affaire liée aux Basques de l'ETA ; le nom du caïd marseillais Gaëtan Zampa a été cité... Au final, nous n'avons rien trouvé."

En 1981, Libération pointe du doigt un certain Jean-Pierre Maïone-Libaude, un ancien de l'OAS qui a monté une équipe avec des voyous niçois et marseillais. Parvenue à l'Elysée, la gauche donne l'ordre de relancer l'instruction. Sans succès. En 2001, VSD évoque "un coup des services secrets", convaincus que Goldman trempait dans "le développement d'une extrême gauche armée à l'italienne" s'appuyant sur "des têtes brûlées issues du grand banditisme" comme Bauer ou Mesrine.

En 2010 sur Canal+, un documentaire apporte le témoignage inédit d'un "nationaliste", qui assure avoir fait partie du commando. On apprendra plus tard son nom, René Resciniti de Says : un ex-parachutiste du 9e RCP devenu mercenaire en Afrique, passé par les phalangistes libanais. Visage masqué, il prétend avoir pris ses ordres chez Pierre Debizet, le chef du Service d'action civique (SAC), le service d'ordre gaulliste devenu police parallèle dans les années 1970. Le documentaire ajoute que deux policiers auraient été impliqués, l'un en poste à la DST, l'autre aux RG, tous deux anciens bérets rouges et militants d'extrême droite. La fin du mystère ? Trop simple... Plutôt un nouvel éclairage, qui met en avant un morceau de l'histoire, sans en percer tous les secrets.

"Maïone a flingué Goldman avec des truands"

Comme souvent, les pièces du puzzle étaient sur la table depuis longtemps. Reste à choisir les bonnes. À les poser dans l'ordre. Et à se méfier des doubles casquettes... Ce qu'avait fait pour partie Michaël Prazan, en 2005 dans un livre (2) qui privilégiait la responsabilité d'un triangle composé du Milieu, de la police et du GAL, un réseau piloté par les services secrets espagnols afin d'éliminer les militants indépendantistes de l'ETA.

À la même époque, Lucien Aimé-Blanc, qui fut le chef de l'Office central de répression du banditisme (OCRB), se faisait plus précis. Alors qu'il préparait un livre, il replaçait Jean-Pierre Maïone-Libaude au coeur de l'affaire et détaillait l'implication du Milieu marseillais, sur lequel "Tany" Zampa avait alors la haute main : "Jean-Pierre était mon informateur. C'est lui qui a flingué Goldman, il me l'a avoué bien après. C'est le GAL qui a décidé l'action : Goldman ambitionnait de monter un groupe armé pour contrer ces anti-ETA. Mais il parlait trop : alors qu'il était à la ramasse, qu'il brassait plus de vent qu'autre chose, il a fini par inquiéter. Des truands marseillais l'ont alors tué avec Maïone, ce que j'ai pu vérifier."Les services secrets français étaient donc hors-jeu ?"Euh, pas vraiment. Jean-Pierre bossait pour les RG et le Sdece, qui couvraient les actions du GAL, ils jugeaient Goldman comme un mec de plus en plus dangereux..."

En cheville avec un tueur venu de l'OAS, les hommes de Zampa auraient en fait agi pour le compte du GAL, avec la bénédiction de la "cellule homo" (pour homicide) de l'État français... Qu'est-ce qui légitime cette incroyable vérité, au-delà des aveux d'un informateur abattu en juin 1982 dans des circonstances inélucidées, rapportés par Lucien Aimé-Blanc ? D'abord la personnalité de ce policier, connu à Marseille pour être un des rares à dialoguer directement avec Zampa. Ensuite, loin d'être à la portée du premier venu, les armes employées étaient déjà une griffe : sept balles de 11,43, le calibre du Milieu, et deux de 9 mm tirées par un Mac 50 et un P38, longtemps en service dans les armées françaises. De son côté, Marcel Leclerc documentait les connexions en assurant que Maïone était "un ennemi du clan Zemour", alors en guerre avec Zampa pour le contrôle des nuits parisiennes.

Surtout, pour agir sur le territoire français, le GAL avait pris l'habitude d'utiliser des voyous, après avoir employé un temps des commandos d'extrême droite issus des cendres de l'OAS : "En échange, les Espagnols laissaient ces truands venus de Bordeaux, Marseille, Lyon, faire du business chez eux, racontait Aimé-Blanc. Ainsi, à Torremolinos où Zampa était comme chez lui, toutes les putes ou presque étaient des Marseillaises..."Qui plus est, les Français facturaient chaque contrat au GAL, comme le rapporte un "beau voyou" retiré des affaires : au départ, le GAL versait 150 000 francs pour l'exécution d'un Basque. Puis les Marseillais ont cassé les prix, acceptant de "travailler" pour 50 000 francs. Zampa aurait même réussi l'exploit de vendre des armes à l'ETA et de balancer au GAL la cargaison et ses destinataires...

Gaëtan Zampa le 28 novembre 1983, pendant son transfert pour un procès / Photo Richard Colinet

Gaëtan Zampa le 28 novembre 1983, pendant son transfert pour un procès / Photo Richard Colinet

Gaëtan Zampa le 28 novembre 1983, pendant son transfert pour un procès / Photo Richard Colinet

Charlie Bauer en 2010 à Marseille / Photo Guillaume Ruoppolo

Charlie Bauer en 2010 à Marseille / Photo Guillaume Ruoppolo

Charlie Bauer en 2010 à Marseille / Photo Guillaume Ruoppolo

"La main chaude et guère la tête froide"

Révolutionnaire cabossé et noceur flamboyant, Pierre Goldman s'est donc brûlé les doigts en s'attaquant à trop gros pour lui. Alors que le réseau de soutien à l'ETA qu'il tentait de créer était mort-né, Charlie Bauer ayant coupé les ponts : "On se retrouvait sur les idées mais il avait la main chaude et guère la tête froide, nous avait confié celui qui fut un temps le compagnon de Jacques Mesrine, mais aussi un combattant de la révolution et de l'indignation. Nous nous sommes connus en prison et quand je suis sorti en 1977, on a nourri le projet de monter un groupe d'intervention antifasciste. Sans lendemain : il concevait davantage l'action à la Chapelle des Lombards."(Ndlr : une boîte de nuit parisienne à Bastille, où Goldman programmait des concerts de salsa notamment le chanteur panaméen Azuquita).

Selon nos informations, l'activiste-braqueur se serait même fourré tout seul dans la gueule du loup, n'échappant pas à une escroquerie mesquine : ignorant que le clan Zampa pigeait pour le GAL, il l'aurait contacté afin d'acheter un stock d'armes, qu'il voulait faire passer en Euzkadi. Son argent aurait été encaissé. Et poussés par le GAL comme par le réseau Maïone qui associait extrême droite et services secrets, les Marseillais n'auraient livré qu'une poignée de balles, le dernier jour de l'été 1979... Sortie aussi définitive que dérisoire pour celui qui, comme le rappelle son ami l'avocat Francis Chouraqui, avait "toujours voulu mourir les armes à la main dans les rues de Paris".

(1) Le 18 mars 1978, il est tué dans une explosion. La presse d'extrême droite cite Pierre Goldman comme pouvant être l'auteur de l'attentat.

(2) " Pierre Goldman, le frère de l'ombre " (Seuil).

Les acteurs Simone Signoret et Yves Montand aux obsèques de Pierre Goldman, le 27 septembre 1979 à Paris / Keystone Pictures USA - MaxPPP

Les acteurs Simone Signoret et Yves Montand aux obsèques de Pierre Goldman, le 27 septembre 1979 à Paris / Keystone Pictures USA - MaxPPP

Les acteurs Simone Signoret et Yves Montand aux obsèques de Pierre Goldman, le 27 septembre 1979 à Paris / Keystone Pictures USA - MaxPPP

Les acteurs Simone Signoret et Yves Montand aux obsèques de Pierre Goldman, le 27 septembre 1979 à Paris / Keystone Pictures USA - MaxPPP