Désiré Bianco, mort à 13 ans pour la France

Désiré Bianco avec l'uniforme du 58e Régiment d’Infanterie coloniale / Archives départementales des Bouches-du-Rhône

Désiré Bianco avec l'uniforme du 58e Régiment d’Infanterie coloniale / Archives départementales des Bouches-du-Rhône

Désiré Bianco avec l'uniforme du 58e Régiment d’Infanterie coloniale / Archives départementales des Bouches-du-Rhône

Né à Marseille en 1902, Désiré Bianco tente d’aller au front dès la déclaration de guerre. Le 2 mai 1915 à Toulon, il parvient à embarquer clandestinement sur un paquebot chargé de convoyer en Turquie le 58e Régiment d’Infanterie coloniale. Découvert, le garçon devient la mascotte des Poilus et participe à l’assaut d’un fortin, au cours duquel il est tué. Ce drame fait de Désiré Bianco le plus jeune « mort pour la France » de la Grande Guerre, ce qui lui vaudra dans les années 1930 d’être présenté comme un exemple.

Août 1914, la foule acclame le 141e Régiment d’Infanterie qui défile à Marseille sur la Canebière / Archives municipales de Marseille

Août 1914, la foule acclame le 141e Régiment d’Infanterie qui défile à Marseille sur la Canebière / Archives municipales de Marseille

Août 1914, la foule acclame le 141e Régiment d’Infanterie qui défile à Marseille sur la Canebière / Archives municipales de Marseille

A Toulon, non loin de l’hôpital militaire, un buste de pierre monte la garde. Le monument représente un tout jeune garçon en uniforme, tête nue. Il s’appelait Désiré Bianco. Tué le 8 mai 1915 en Turquie. À l’âge de 13 ans. Son nom est aujourd’hui inconnu de tous ou presque, même si à Marseille, il a été donné à une avenue qui longe le cimetière Saint-Pierre. Pourtant, son destin est extraordinaire : Désiré Bianco fut le plus jeune Poilu. Le plus jeune « mort pour la France » de la Grande Guerre… Il était né le 4 avril 1902 à Marseille, dans une famille originaire de Caraglio (Italie), un bourg du Piémont. Pour échapper à la pauvreté, les Bianco avaient émigré en France. Ils s’étaient installés à Marseille, ville qui accueillait alors plus de 90 000 Transalpins soit près de 20 % de la population totale, dans le quartier ouvrier de Menpenti.

L'acte de naissance de Désiré Bianco / Archives départementales des Bouches-du-Rhône

L'acte de naissance de Désiré Bianco / Archives départementales des Bouches-du-Rhône

L'acte de naissance de Désiré Bianco / Archives départementales des Bouches-du-Rhône

Débarquement de troupes françaises sur l'île de Lemnos en 1915 / La Provence

Débarquement de troupes françaises sur l'île de Lemnos en 1915 / La Provence

Débarquement de troupes françaises sur l'île de Lemnos en 1915 / La Provence

En 1914, Désiré a 12 ans. À l’image de beaucoup de gamins de l’époque, enflammés par le battage de la presse cocardière qui promet une victoire rapide sur « les Boches », il veut « voir » la guerre. À deux reprises, il se cache dans un train militaire, en partance pour la Meuse. Par deux fois, il est ramené à sa famille. Mais Désiré n’en démord pas. Le 2 mai 1915 à Toulon, il parvient à embarquer clandestinement sur le « France », un paquebot chargé de convoyer le 58e Régiment d’Infanterie coloniale. Destination le détroit des Dardanelles (Turquie), où, depuis février, un corps expéditionnaire anglo-français tente sur le front d’Orient une percée imaginée par Winston Churchill. Annoncée comme une « promenade de santé » par les services de propagande, comme en témoigne une carte postale qui promet de faire une « bouillabaisse constantinopolitaine » avec les soldats turcs, allemands et austro-hongrois, la manoeuvre militaire est en fait beaucoup plus compliquée qu’il n’y paraît (après l’échec d’un passage en force naval par le détroit des Dardanelles, les Alliés décident de débarquer sur la péninsule de Gallipoli ; solidement retranchés et encadrés par des officiers allemands, les Ottomans parviendront à repousser l’offensive).

Le navire est déjà en haute mer quand le soldat Louis Nicolas découvre le gamin. Impossible de faire demi-tour. Désiré, bien trop jeune pour être enrôlé, va devenir pupille du régiment. On lui confie un fusil, on lui dégote un uniforme de marsouin. Le 6 mai, la troupe débarque sur une plage de la péninsule de Gallipoli, sous les tirs de barrage des mitrailleuses turques. Le lendemain, le régiment monte à l’assaut d’un fortin perché sur les crêtes. Subissant de terribles pertes, les Français sont bloqués à 100 mètres de l’objectif. Au matin du 8 mai, ordre est donné de prendre la position, coûte que coûte. Avant de partir à l’assaut, Louis Nicolas ordonne à Désiré de rester dans la tranchée. Le lieutenant Asquier lui retire son fusil et lui donne son sabre à garder. La suite, c’est Louis Nicolas qui l’a racontée. « Quel ne fut pas mon étonnement lorsque j’aperçus Désiré Bianco qui tenait de la main droite le sabre du lieutenant et se lançait devant la compagnie en criant : ‘En avant, à la baïonnette !’ (…). Soudain, je vis le petit Désiré chanceler et tomber ». Son corps ne fut jamais retrouvé, les Français étant sous le feu des Ottomans. Pour l’enfant-soldat, la guerre n’avait duré que deux jours. Rentrés en France, ses compagnons d’armes demandent qu’on lui rende hommage. C’est avec l’accord du général Joffre que Désiré Bianco est cité à l’ordre de l’armée, le 30 août 1916.

Jugement du tribunal civil de Marseille déclarant Désiré Bianco « Mort pour la France » / Archives départementales des Bouches-du-Rhône

Jugement du tribunal civil de Marseille déclarant Désiré Bianco « Mort pour la France » / Archives départementales des Bouches-du-Rhône

Jugement du tribunal civil de Marseille déclarant Désiré Bianco « Mort pour la France » / Archives départementales des Bouches-du-Rhône

Constitution d'un comité pour l'érection d'un monument à Toulon / Archives départementales des Bouches-du-Rhône

Constitution d'un comité pour l'érection d'un monument à Toulon / Archives départementales des Bouches-du-Rhône

Constitution d'un comité pour l'érection d'un monument à Toulon / Archives départementales des Bouches-du-Rhône

Contrairement au Breton Corentin Jean Carré qui grâce à une affiche de Jean Prouvé devient très tôt un héros national (engagé à 15 ans, il meurt au combat à Verdun en 1918), le Marseillais disparaît rapidement des mémoires. Il faut dire que l’on peut nourrir quelques doutes sur le récit des hommes du 58e Régiment d’Infanterie coloniale, qui l’auraient quelque peu enjolivé pour éviter des réprimandes : « Emmener au front un garçonnet de cet âge était un geste d’une inconscience folle, même pour l’époque », note Manon Pignot qui a publié en 2012 chez Armand Colin le livre « L’Enfant-soldat ». Pour elle, le souvenir que l’on a aujourd’hui de Désiré Bianco a été « élaboré dans les années 1930 avec une tournure largement apocryphe, fruit de l’activisme d’une association, la Légion des Mille ». Effectivement, c’est en 1935 que d’anciens Poilus créent une institution honorifique présidée par Robert Euzénat, regroupant les 1 000 plus jeunes combattants volontaires de 14-18. Désiré Bianco est reconnu comme le premier d’entre eux. Des journaux s’enthousiasment, tel l’influent « La Voix du combattant » qui évoque « ce jeune héros admirable dont le nom devrait être connu de tous les enfants de France ». L’ex-président de la République Gaston Doumergue ne dit pas autre chose : « Le nom de cet enfant pourrait être inscrit au Panthéon des grands Français ».

Ce lobbying porte ses fruits et le 17 mai 1936 à Toulon, lors d’une cérémonie militaire, un buste de Désiré Bianco est dévoilé en présence de ses parents. Avec ces mots gravés sous son visage poupon : « A fait preuve de vaillance et de grand courage à l’assaut du 8 mai 1915 où il a été tué en s’élançant aux cris ’’En avant, à la baïonnette’’ ». Pour faire bonne mesure, le petit héros est décoré à titre posthume de la Médaille militaire et de la Croix de guerre. L’orage qui allait balayer l’Europe puis le monde, vingt ans après la « Der’ des Ders », devait toutefois renvoyer dans l’oubli la courte existence de Désiré Bianco, fauché aux Dardanelles à 2 000 kilomètres de chez lui. Oubli dont il n’est depuis jamais ressorti.

Compte-rendu de l'inauguration du monument à la gloire de Désiré Bianco / Archives départementales des Bouches-du-Rhône

Compte-rendu de l'inauguration du monument à la gloire de Désiré Bianco / Archives départementales des Bouches-du-Rhône

Compte-rendu de l'inauguration du monument à la gloire de Désiré Bianco / Archives départementales des Bouches-du-Rhône