Des meutes de chien
pour résister au loup

Organisés instinctivement en groupe, ces "pastore della Sila", en Toscane, forment un cordon autour du troupeau, gardant à distance les intrus. "Il ne faut pas forcément des chiens grands et forts, juge leur maître, Cristian. Leur morphologie doit être adaptée au travail, et à leur fonction dans la meute". Petits et agiles, certains seront plus efficaces que des molosses." / Eric Camoin

Organisés instinctivement en groupe, ces "pastore della Sila", en Toscane, forment un cordon autour du troupeau, gardant à distance les intrus. "Il ne faut pas forcément des chiens grands et forts, juge leur maître, Cristian. Leur morphologie doit être adaptée au travail, et à leur fonction dans la meute". Petits et agiles, certains seront plus efficaces que des molosses." / Eric Camoin

Organisés instinctivement en groupe, ces "pastore della Sila", en Toscane, forment un cordon autour du troupeau, gardant à distance les intrus. "Il ne faut pas forcément des chiens grands et forts, juge leur maître, Cristian. Leur morphologie doit être adaptée au travail, et à leur fonction dans la meute". Petits et agiles, certains seront plus efficaces que des molosses." / Eric Camoin

Crocs contre crocs

Face à la pression exercée par la prédation du loup sur les troupeaux, la gestion des chiens de protection "en meute" apparaît pour les éleveurs comme une nouvelle voie à explorer.

La Provence s’est rendue en Italie, ou des savoir-faire ancestraux sont encore à l’œuvre, mais aussi dans les Alpes, où l’on tente de réapprendre ces techniques.

/ Eric Camoin

/ Eric Camoin

/ Eric Camoin

Un ours qui s’approche d’un troupeau. Des aboiements, et quatre chiens qui foncent vers le plantigrade, le mettant non seulement en fuite, mais le prenant même littéralement en chasse… Postée le mois dernier sur le réseau social Facebook, cette vidéo réalisée par un éleveur de Val Concei, au Nord de l’Italie, a largement "buzzé" sur le net.

Kamikazes, ces chiens de troupeau ? "C’est parce qu’ils sont en meute qu’ils ont le courage d’aller au-devant d’une bête de 200 kg… Seul, un chien se serait limité à aboyer", analyse Simon Merveille. "Jamais ils n’auraient été de l’avant sans la force de la meute", abonde Laurent Garde. Les deux hommes savent de quoi ils parlent : référent régional "chiens de protection" au sein de l’Institut de l’élevage, pour l’un, et directeur adjoint du Centre d’études et de réalisations pastorales pour l’autre, tous deux suivent de près les attaques de loups sur le bétail des Alpes et de Provence, tout comme l’évolution des techniques de protection des troupeaux.

Et ils s’accordent sur un point : pour être plus efficaces face au loup, les chiens de protection de troupeau doivent fonctionner "en meute", comme sur cette vidéo devenue virale. "C’est un regard nouveau", souligne Simon Merveille. En France, depuis le retour de canis lupus dans les Alpes, voilà trente ans, "on a beaucoup trop raisonné avec des individualités de chiens, additionnées autour du troupeau, analyse Laurent Garde. Alors que c’est une société de canidés qu’il faut mobiliser." "Pendant vingt ans, on a dit aux éleveurs ’prenez un chien, si ça ne marche pas prenez-en plus, et débrouillez-vous’, regrette Simon Merveille. Avec une efficacité très relative, et beaucoup de déception, du côté des éleveurs." "Une meute, c’est une équipe de rugby, avec des chiens complémentaires", image encore l’expert de l’Idele.

Kathrin et Cristian accompagnent dans les sous-bois leurs "pastore della Sila", chiens au pelage noir chamarré de blanc. / Eric Camoin

Kathrin et Cristian accompagnent dans les sous-bois leurs "pastore della Sila", chiens au pelage noir chamarré de blanc. / Eric Camoin

Kathrin et Cristian accompagnent dans les sous-bois leurs "pastore della Sila", chiens au pelage noir chamarré de blanc. / Eric Camoin

Kathrin et Cristian accompagnent dans les sous-bois leurs "pastore della Sila", chiens au pelage noir chamarré de blanc. / Eric Camoin

Kathrin et Cristian accompagnent dans les sous-bois leurs "pastore della Sila", chiens au pelage noir chamarré de blanc. / Eric Camoin

Kathrin et Cristian accompagnent dans les sous-bois leurs "pastore della Sila", chiens au pelage noir chamarré de blanc. / Eric Camoin

Un groupe social d’animaux, que les éleveurs doivent savoir composer et diriger, en "chef de meute". Et c’est un fait : ce savoir-faire-là a été oublié dans l'Hexagone. "Il y a eu une coupure, pointe Simon Merveille. Des générations sont passées, et ces techniques ont été oubliées."

Des techniques à élaborer

"Dans nos Alpes à nous, là où le loup avait aussi disparu, c’est pareil!" Regard perçant et barbe longue, Cristian élève chèvres et brebis en Toscane. Dans la Péninsule italienne, "cette culture du loup a cependant survécu dans certaines de nos régions, assure-t-il, des petites poches où le loup n’a jamais été éradiqué, dans les Abruzzes, mais aussi en Calabre." La Provence est donc partie à la rencontre de cet Italien passionné - et passionnant - pour voir et comprendre le fonctionnement de chiens de troupeaux "en meute". Car ce sont des chiens provenant de son élevage, des "Pastore della sila", qui ont pris en chasse cet ours, à Val Concei. Est-il là, le "modèle italien", mis en avant à tort et à travers depuis quelques années? "Dire que tout se passe bien en Italie est un mythe, et de toute façon, les systèmes ne sont pas transposables", tranche clairement Laurent Garde. "Comparer les régions et les pays entre eux, cela n’a pas de sens, répond également Simon Merveille. Le comptage des bêtes, la taille des troupeaux, le droit du travail… ce sont des biais énormes !"

Ces savoir-faire italiens, qui non pas disparus, restent cependant un point d’appui pour construire de nouvelles techniques propres au territoires alpins et français, de gestion des chiens de protection de troupeau. Un travail enrichi des études réalisées dans le domaine de l’éthologie (la science du comportement des animaux, sur laquelle travaillent plusieurs experts suisses) ou encore des retours d’expérience du terrain. Voilà une nouvelle voie à explorer, pour mieux encaisser la prédation du loup dans les alpages.

Car cette présence d’un grand prédateur, nouvelle -"trente ans, une génération, ce n’est rien", pointe Simon Merveille, pèse sur la santé des éleveurs, les pousse parfois au conflit avec les autres usagers de la montagne, et modifie le pastoralisme: le loup bouscule et interroge une époque. "Les éleveurs s’adaptent, rappelle Laurent Garde. Mais le reste de la société, pas encore."

Kathrin et Cristian accompagnent dans les sous-bois leurs "pastore della Sila", chiens au pelage noir chamarré de blanc. / Eric Camoin

Reportage en Italie, auprès d’éleveurs
qui s’appuient sur des chiens "en meute"

/ Eric Camoin

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"Le travail des chiens ? Tenir le loup au loin"

Il faut laisser Florence et ses fastes derrière soi, pour suivre la vallée de l’Arno, bordée de riches oliveraies, vers le Sud, sur plusieurs dizaines de kilomètres. Arrivé au château di Valenzano, niché dans une colline boisée, c’est une demi-heure de piste qu’il faut encore parcourir,serpentant au travers des chênaies de Toscane, pour rejoindre "Pecora nera". Une ferme rustique, perdue au milieu de nulle part et juchée à 1000 mètres d’altitude, où Andrea et Cristian, bergers, amis et associés, élèvent près de 150 chèvres et brebis, avec leurs conjoints, Francesco et Kathrin. Ce matin de juillet, c’est elle qui guide le visiteur jusqu’au troupeau. Les bêtes prennent le frais dans les sous-bois. "Tutto bene, tutto bene" : dans un geste, Kathrin calme la curiosité de Troll.

À la tête de quelques "pastore della Sila", ce chien de troupeau est venu renifler les intrus, après quelques aboiements. "C’est le mâle Alpha de la meute de jour, sourit Cristian. Il tient la tête du troupeau, les bêtes savent qu’il ouvre la voie. Regardez, chaque chien à sa place." La dizaine de canidés forme en effet une forme de cordon autour du bétail, suivant ses déplacements sous les fayards. "Et toujours, toujours, Ghisa ferme la marche", glisse le berger. Impossible d’avancer, en effet, sans avoir un chien derrière soi. Même perdu, un peu plus bas, dans le maquis. Genêts, hêtres, chênes… une végétation proche de celle des Alpes du Sud. "Avec tout ça, parfois on ne voit pas à quelques mètres, explique Kathrin. Ici, nous avons donc besoin de beaucoup de chiens."

"La culture du loup"

"La taille et la composition d’une meute dépendent énormément de l’environnement, détaillera plus tard Cristian, attablé devant ses fromages de brebis. Les chiens doivent aussi être choisis en fonction du contexte social de l’éleveur, sa famille, s’il est proche d’une zone de randonnée, etc. Les chiens prennent leur place tous seuls dans la meute, mais il faut bien les choisir. Cela ne sert à rien de les dresser. Pour que cela fonctionne, il faut les placer en fonction de leur caractère, car ce ne sont pas des robots ! Il faut bien les observer. Et s’assurer d’une bonne sélection génétique." "Cela doit rester des chiens de travail, appuie-t-il. Chez vous, les patous de Pyrénées ont par exemple longtemps été sélectionnés sur des critères de beauté. Ce n’est pas efficace…"

"Un suivi des éleveurs à qui l’on donne des chiens est aussi essentiel, poursuit-il. Daniel, dans le Nord, qui a vu ses chiens chasser l’ours, au début il m’appelait tous les jours. C’était il y a 4 ans, quand il m’a pris un pastore della Sila pour former sa meute." Une race que Cristian raconte avoir été cherché en Calabre, "voilà dix ans", pour développer un élevage. Avec Kathrin, ils ont même créé une association "afin de protéger cette filiation, qui était presque éteinte", assure le couple.

"Là-bas, dans des vallées très pauvres, j’ai rencontré beaucoup de vieux bergers, pour apprendre, confie Cristian. Mon grand-père était l’un d’entre eux." De quoi transmettre "la culture du loup". "Quand j’ai décidé d’être berger, je savais que le loup serait là. Pour moi, c’est normal ! Pour qu’un bois soit salubre, il faut qu’il y ait des loups."

Avec le jour qui décline, ses bêtes reviennent d’elle-même à l’étable, toujours encadrées par les chiens. Andrea, jeune berger venu de la région de Rome, va débuter la traite des chèvres, à la main. L’heure pour la meute de jour de prendre un dîner à base de pain sec et de restes de boucherie, bouillis ensemble dans une large marmite.

Au tour d’Orco, de prendre du service. Cristian détache cette belle bête de 45 kg. "C’est l’alpha de la meute de nuit. Ils ne se croisent jamais avec Troll, qui avec ses chiens reste toujours dans le troupeau." Son rôle ? "Marquer le territoire autour de la ferme"… même s’il faut se battre. Un "vreccale", collier hérissé de bouts de métal, orne son cou. "Essentiel pour le protéger, lâche son maître. Ça peut sauver sa vie, et blesser le loup qui l’attaque à la gorge."

/ Eric Camoin

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/ Eric Camoin

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"C’est leur rôle, leur nature de combattre le loup, pointe Crisitan, sans sentimentalisme. Si tu as de bons chiens, expose l’éleveur, le loup ne vient pas. Car 90% de leur travail, ce n’est pas de repousser les attaques, mais de tenir le loup au loin. C’est un animal intelligent : il doit comprendre que viser une bête sauvage sera moins dangereux".

Sous un ciel lourd d’une myriade d’étoiles, Orco s’est chargé de passer le message à son cousin canis lupus.

Laurent Garde, directeur adjoint du Cerpam / Photo Eric Camoin

Laurent Garde, directeur adjoint du Cerpam / Photo Eric Camoin

Laurent Garde, directeur adjoint du Cerpam / Photo Eric Camoin


Questions à Laurent Garde,
directeur adjoint du CErpam :
"Une meute de chiens peut finir par acculer un loup"

Laurent Garde est directeur adjoint du Centre d’études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée (Cerpam). Basé à Manosque, il est notamment en charge de l’animation des programmes de recherche et de développement du Cerpam.

Comment ont évolué les systèmes pastoraux face à la prédation du loup ?

Nous sommes passés d’un mode de gestion pastorale dans les montagnes et les collines des Alpes et de Provence, où les systèmes en place permettaient d’optimiser l’alimentation des troupeaux, d’avoir une bonne gestion des milieux, avec un renouvellement de la ressource, à un état où la protection des troupeaux l’emporte sur tout le reste. Où la gestion pastorale renonce à la satisfaction des objectifs antérieurs. Nous sommes donc passés d’un mode optimisé à un mode dégradé de la gestion pastorale. Il y a ainsi un impact sur la satisfaction des objectifs de production, sur le bon état de la montagne, et l’entretien des espaces et de la biodiversité.

Il n’y a évidemment pas de solution miracle face à la prédation du loup, mais une meilleure efficacité des chiens de protection, grâce à une gestion en meute, est-elle une solution ?

Le mot meute, en français ancien, ne s’adressait qu’aux chiens, pas aux loups. C’est une évolution moderne du langage de l’appliquer aux loups et non plus aux chiens. On parle là d’un groupe de chiens au travail, qui a une liberté de mouvement dans son action et des bêtes qui agissent à l’instinct. Le mot meute veut dire mouvement en français: Ce sont des chiens qui doivent s’organiser collectivement pour répondre à la tâche qu’on attend d’eux. Quand on parle de meute de chiens, on parle d’une société canine structurée, hiérarchisées, avec une répartition des rôles, une cohésion et une confiance entre les membres de la meute, le tout étant sous contrôle impératif de l’être humain. Les éleveurs parlent alors de leur rôle de "chef de meute" qui est extrêmement signifiant. Il ne s’agit pas de chiens laissés à eux-mêmes, à l’abandon. C’est une société de chiens qui travaille de façon spontanée. Personne ne leur donnera l’ordre de s’attaquer au loup, car de toute façon ils sentiront sa présence bien avant l’être humain. Le mot meute implique une spontanéité d’action, et à la fois une maîtrise de l’éleveur ou du berger… C’est très complexe.

Cette gestion des chiens par un berger "chef de meute", c’est nouveau ?

C’est une réalité évidente dans les Abruzzes, en Italie, mais dans un système plus simple : là-bas, vous avez toujours les mêmes troupeaux, toujours les mêmes meutes de chiens. Il n’y a pas comme ici la division des troupeaux en lots, parfois le regroupement des troupeaux de différents éleveurs… Ceci étant dit, des savoirs totalement nouveaux en France, de constitution, éducation, gestion d’une meute de chiens, sont en cours de fabrication et de développement. Cette construction de nouveux savoirs émerge d’elle-même dans les Alpes. Elle est fruit d’un grand nombre d’échanges, de discussions entre éleveurs de différents pays. Aujourd’hui avec Internet, plus personne n’est isolé.

Faut-il structurer l’élevage des chiens de protection et former les éleveurs au maniement des meutes ?

La clé de tout, c’est de faire confiance aux acteurs de terrain, aux éleveurs, pour inventer, diffuser, échanger, leurs propres savoirs. Ceux qui émergent actuellement dans les Alpes ne proviennent pas d’un conseil technique ou d’un apport extérieur. On peut mettre en place un accompagnement de cette émergence de savoirs, mais à condition qu’elle soit basée sur les larges réseaux d’éleveurs.

Pourquoi selon vous les tirs de prélèvement sont incontournables ?

L’association des chiens de protections aux tirs de prélèvement, c’est la seule voie pour contenir la prédation du loup. Vous avez d’un côté une meute de loups, de l’autre une meute de chiens. Ils inter-échangent en permanence, avec des signaux canins. Cette capacité de communication fait toute la puissance des meutes de chiens de protection. Pour autant, si vous prenez des loups sûrs d’eux, qui ne se cachent pas et ne risquent rien, pour quelle raison finiraient-ils par ne plus vouloir s’en prendre aux brebis ? Le loup, dans la nature, doit toujours engager des efforts considérables pour obtenir une proie sauvage. Donc il n’y a pas de raison qu’il n’en produise pas pour se saisir de la proie domestique, qui, elle, ne peut pas fuir et est abondante. Il faut donc réapprendre le risque au prédateur: qu’approcher le troupeau signifie un danger mortel. Personne n’est tueur de loup, mais une politique efficace doit marcher sur deux jambes : tirs de défense et chiens de protection en meute, il y a là une voie à explorer, qui semble commencer à donner des résultats.

Une meute de chiens peut-elle venir à bout d’un loup ?

En termes d’interaction canine, on est d’abord sur des logiques de repoussement, d’avertissement, etc. Ensuite on en vient aux crocs et il peut y avoir des morts de part et d’autre, clairement. Un chien seul, je ne suis pas certain qu’il sera assez puissant pour s’en prendre à un loup. À plusieurs, s’ils en arrivent à acculer un loup, ils peuvent le tuer. C’est littéralement un "effet de meute". Vous avez entre 50 et 100 chiens de protection tués en France par des loups en France.

Ce chiffre donne une idée de l’intensité de cet affrontement entre assaillants et défenseurs

Des éleveurs et des bergers "malades du loup"

Leurs travaux ont été publiés en tout début d’année. "Face aux Loups", une étude socio-anthropologique conduite par Frédéric Nicolas et Antoine Doré, de l’Inrae*, a conclu a des effets "réels et importants" de la prédation du loup sur la santé des éleveurs et bergers. "La violence symbolique qui accompagne le problème de la prédation et la mise en œuvre de dispositifs de cohabitation, de protection et d’indemnisation joue à cet égard un rôle déterminant dans l’apparition et l’amplification des effets directs du loup et de la prédation, faisant de certains professionnels du pastoralisme des ’malades du loup’", conclut notamment cette étude, soulignant par ailleurs que "la nature et l’intensité des effets de la présence du loup sur la santé sont davantage corrélées au sentiment que l’éleveur ou le berger a de maîtriser la situation lupine dans ses dimensions pratiques (savoir faire face), mais aussi symboliques (pouvoir ’faire sens’)."

*Inrae : Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement

Le retour du loup en France, voilà 30 ans

Cela fera 30 ans cet automne qu’il aura été de nouveau aperçu en France. Au début du mois de novembre 1992, des garde-moniteurs du Parc national du Mercantour observent canis lupus dans les montagnes des Alpes-Maritimes. Il faudra cependant attendre plusieurs mois, après la collecte d’indices confirmant ces observations, pour que l’État acte officiellement son retour dans l’Hexagone le 22 juillet 1993 en donnant à l’animal le statut d’espèce protégée en France. La population de loup avait été considérée comme "éradiquée" du territoire français en 1937, rappelle l’Office français de la biodiversité (OFB).

/ Florian Launette

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/ Patrick Nosetto

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/ Florian Launette

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"Tous les éleveurs ne sont pas bien équipés" dans les Alpes

Simon Merveille élève un troupeau de chèvres dans le massif des Monges, gardé par plusieurs patous / Photo Eric Camoin

Simon Merveille élève un troupeau de chèvres dans le massif des Monges, gardé par plusieurs patous / Eric Camoin

Simon Merveille élève un troupeau de chèvres dans le massif des Monges, gardé par plusieurs patous / Eric Camoin

"C’est bon, je suis là !" En enjambant la barrière qui ceinture son troupeau, Simon Merveille s’est directement adressé à Rokh, Phenix et Simorgh. Les trois imposants canidés, bergers des Abruzzes drapés d’un pelage blanc majestueux, se rapprochent tranquillement de leur maître, accompagné d’Oxyde, chien de troupeau d’Asie centrale. "Ils fonctionnent à quatre, explique l’éleveur. Et quand je dis "c’est bon", les chiens savent que c’est moi qui prends en charge la responsabilité du troupeau. J’en deviens le chef." Perla, de la race corse "cursinù", lui sert de chien de conduite.

Référent régional "chiens de protection de troupeau" au sein de l’Idele, institut de l’élevage dont la mission est notamment d’accompagner la profession en apportant des solutions techniques et innovantes, ce pâtre est installé sur les contreforts du massif des Monges.

Ce mardi de juin, ses chèvres chamoisées -une quarantaine- se régalent d’épines de pins, dans leur enclos électrifié, à l’ombre d’un frêne, et sous le regard de Sinaï, vache jersiaise. Ses imposants patous, rassurés par le berger, viennent chercher les caresses… comme le bétail.

Spécialiste des chiens de travail, Simon Merveille accompagne les éleveurs qui le souhaitent pour raisonner "en meute" la protection de leur troupeau. "Il y a un intérêt naissant, expose-t-il. Voilà trois ans, je n’accompagnais que trois éleveurs. Aujourd’hui, j’en suis une quinzaine."

"C’est très difficile de conquérir leur confiance, après des années d’utilisation des chiens de troupeau sans réelle formation", développe Simon Merveille. "Au sein même de grandes fédérations syndicales agricoles, il y a encore une méconnaissance de la gestion et de l’utilisation des chiens de protection", regrette-t-il. "C’est même aberrant de voir le déficit de formation au sein des lycées agricoles, pointe encore l’éleveur. Sur la prédation du loup, la gestion des chiens, le sujet est complexe : pourquoi devrait-il, pour autant, être tabou ?"

/ Eric Camoin

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/ Eric Camoin

/ Eric Camoin

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Autre écueil qu’il constate dans les Alpes du Sud,"beaucoup d’éleveurs hésitent à former une vraie meute de chiens de protection, car plus de chiens peut signifier plus d’incidents avec les randonneurs. Du coup, même si tout le monde possède un ou plusieurs chiens, leur dispositif n’est pas toujours efficace."

"La race des chiens ne fait pas tout, mais il faut cependant bien la choisir pour constituer son groupe, appuie-t-il, et placer ses chiens en fonction de leurs comportements. "

Simon Merveille sait de quoi il parle : outre sa passion pour les canidés, lui aussi doit se confronter à la prédation lupine. "Nous avons une meute qui reproduit à 2 km, avec 5 individus, là, vers Auzet et Barles, pointe-t-il en levant la tête vers les sommets. Une autre se trouve à 15 km, entre Bayons et Clamensane, avec 8 individus."

Ses imposants patous ont sans nul doute jusqu’ici permis de limiter la casse… En 15 ans de pâturage dans les préalpes dignoises, Simon Merveille n’a dû gérer "que" trois victimes. "Une première chèvre, quand nous sommes arrivés. Une autre, qui était restée en montagne. Et Olympe, la mère de Sinaï."

Avec l’Idele, il a pour mission de "structurer la filière des chiens de protection", convaincu de leur efficacité. "Ils sont auprès des bergers depuis la naissance du pastoralisme, il y a près de 12 000 ans, souligne-t-il. Il ne faut pas l’oublier."

521 attaques de loups dans les Alpes-de-Haute-Provence

Le comité départemental loup qui s’est réuni au tout début du mois de juillet a dressé un bilan de la prédation dans les Alpes-de-Haute-Provence.

Sur ce territoire, la prédation a connu en 2021 une baisse relative comparativement à l’année précédente : 221 troupeaux ont été touchés (-4 % par rapport à 2020) par 521 attaques faisant 1525 victimes, soit 131 victimes de moins qu’en 2020 (-8%). "Même si ces chiffres représentent la deuxième année consécutive de baisse, ils restent très élevés et chaque attaque impacte très durement les éleveurs du département", rappellent les autorités. Cette année, le dernier bilan provisoire de la prédation reste dans le même ordre de grandeur, avec au 19 juin 150 attaques recensées dans le département pour 591 victimes. En 2021, 12 loups ont été prélevés dans le département.


La création d’un statut juridique
pour les chiens de protection à l’étude

Photo Eric Camoin

Photo Eric Camoin

C’est un sujet évoqué depuis plusieurs mois, réclamé par certains syndicats agricoles, qui pourrait avancer. "Nous travaillons à la création d’un statut juridique pour le chien de protection des troupeaux", indique Jean-Paul Celet, préfet référent national sur la politique du loup. "Nous partons du constat que ces chiens sont actuellement considérés comme des animaux domestiques, détaille le haut fonctionnaire. Seul un article du code rural évoque le chien de travail." Un vide juridique qui pose problème en cas de litige porté devant les tribunaux. "Nous voulons un fondement juridique solide, poursuit le préfet. Nous proposons donc la création d’un statut de chien de travail, bien distinct, dans lequel s’intégreraient les chiens de protection de troupeau, avec des dispositions spécifiques, et qui soit créé par la loi, voté par les députés, pour l’ancrer solidement dans le droit français." Un projet a été envoyé au gouvernement, "au cours du mois de mai", précise Jean-Paul Celet, par la préfecture de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui coordonne le Plan loup. "Une réunion interministérielle doit avoir lieu sur le sujet. Le processus sera long, mais nous espérons évidemment qu’il aille le plus vite possible."

En parallèle, "l’Institut de l’élevage, l’Idele, a reçu pour mission de structurer une filière de chiens de protection, afin qu’ils soient mieux sélectionnés, mieux éduqués et mieux choisis, mais aussi d’accompagner les éleveurs et les bergers." Si, selon le préfet Celet, ces derniers reconnaissent "l’efficacité" des chiens de protection de troupeau, d’autres questions se posent, souligne le haut fonctionnaire. "En 2021, 70 incidents en montagne sur 5 500 chiens dans les alpages, cela reste peu", estime-t-il. "Mais nous voyons se multiplier les conflits de voisinage avec les éleveurs, au sein même de villages, à cause par exemple des problèmes d’aboiement, constate Jean-Paul Celet. Le nombre de chiens augmente, mais qu'en faire quand ils sont tous à la bergerie ?", s’interroge-t-il. Les autorités misent pour l’instant sur la création d’un médiateur ad hoc.

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Une nouvelle appli pour localiser troupeaux et chiens : "Pasotrando" sera testée
à Allos pendant un an

Qu’il s’agisse de l’Italie, de l’Allemagne, de la Suisse ou bien évidemment de pâturages français, tous les éleveurs sont confrontés au même problème : la cohabitation des chiens de troupeaux avec les autres usagers de la montagne ne se fait pas sans heurts. "Si vous randonnez et rencontrez un troupeau, la question ne sera pas de savoir comment vous comporter face à un chien, mais face à 5, 6 ou 7 chiens, souligne Laurent Garde, du Cerpam. Il s’agit pour la personne de passage de faire comprendre qu’elle n’est pas un intrus. Mais tous les randonneurs ne connaissent pas forcément les comportements à adopter face à cette situation…"

Pour que les amoureux de la montagne sachent où aller, et s’ils le souhaitent éviter les troupeaux, "Pastorando" est expérimentée depuis le début de l’été dans le Haut-Verdon, sur la commune d’Allos. "C’est un territoire qui cristallise de nombreuses tensions", décrit Maurice Laugier, maire de Saint-Benoit et président de la communauté de Communes Alpes Provence Verdon (CCAPV). Soutenue financièrement par le plan de relance de l’État, c’est cette intercommunalité qui a porté le projet.

Après un an de mise au point, cette appli, qui se décline également en site internet, localise quasiment en temps réel les bêtes qui pâturent sur la zone. "Les brebis meneuses de troupeaux sont équipées de collier GPS, décrit Maurice Laugier. La totalité des 14 troupeaux qui utilisent les prairies de la commune seront équipés, au fur et à mesure de leur arrivée dans les alpages."

Une sensibilisation particulière sera faîte auprès du public par l’Office de Tourisme ainsi que par le médiateur pastoral présent sur place. "Ils ont aussi la charge de questionner les utilisateurs pour connaître les améliorations à effectuer, précise Maurice Laugier. Si les retours sont positifs, nous élargirons l’année prochaine ce dispositif à d’autres territoires de la communauté de communes."

Une initiative qui pourrait permettre de réduire le nombre d’incidents : "il y a des agressions explicables, notamment par une mauvaise appréciation de la situation par les randonneurs, et qui sont donc évitables", rappelle le référent régional "chiens de protection de troupeau" au sein de l’Idele, Simon Merveille.

L'appli a été lancée mi-juin / Eric Camoin

921 loups recensés en France à la sortie de l’hiver

Une population en hausse

L’estimation annuelle de la population de loups en France -qui ne fait toujours pas consensus- a été fixé officiellement, à la fin du mois de juin, à 921 loups à la sortie de l’hiver 2021-2022 (voir notre édition du 28 juin) par l’Office français de la biodiversité (OFB).

174 Loups peuvent être "prélevés"

Le nombre de spécimens dont la destruction est autorisée sur l’année 2022 sur l’ensemble du territoire français s’élève à 174 individus, représentant 19% de la population lupine en France. En date du 28 juin, 29 loups avaient déjà été abattus dans ce cadre. La destruction d’une espèce protégée sans autorisation est notamment passible d’une peine de 3 ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende.

Des attaques en baisse

lus de loups, mais moins d’attaques : c’est le constat dressé au début de cet été par les autorités. La hausse du nombre de loups s’est accompagnée d’une baisse de la prédation en France, "tant en nombre d’attaques que d’animaux prédatés". Un total de 3 537 attaques ont été recensées en 2021, pour un total 10 826 animaux (blessés ou tués). En France, 45 départements sont concernés. Au niveau régional, 2021 attaques et 6122 victimes, ont été recensées dans la région Paca. "Sur l’indicateur de la prédation, on a une situation qui s’améliore, analyse Laurent Garde, du Cerpam. Depuis que l’on a mis en place une politique de tirs de prélèvement à grande échelle, On a moins de bêtes tuées chaque année pour plus de loups."

70 incidents avec des chiens

En 2021, ce sont 70 incidents qui ont été recensés en France entre des pratiquants de la montagne et des chiens de protection de troupeaux : 15 morsures sur chiens de compagnie, 24 pincements sur personnes, 31 morsures sur personnes.

Des incidents qui ont eu lieu très majoritairement dans les Hautes-Alpes, mais aussi dans les Alpes-de-Haute-Provence, et qui ont impliqué moins de 2% des chiens de protections financés par l’État, qui sont au nombre de 5000. Le département de Hautes-Alpes concentre à lui seul un millier d’entre eux.

30 millions d’aides

Un "plan loup 2018-2023" d’actions à l’échelle nationale, a été mis en place par le gouvernement. Dans ce cadre, ce sont 30,42 millions d’euros d’aides qui ont été engagées par l’État pour soutenir les éleveurs en 2021, face à la prédation du loup.

13% de ces aides étaient dédiées aux chiens de protection de troupeau, consacrées dans leur quasi-totalité (91,4%) à l’entretien des chiens. En 2021, 772 chiens ont fait l’objet d’une aide à l’acquisition, et 5 642 chiens ont fait l’objet d’une aide forfaitaire à l’entretien. Plusieurs aides sont également consacrées au gardiennage et à l’investissement dans du matériel de protection (clôtures électriques)