Le retrait de sa Majesté Federer

Le Suisse, légende du tennis, a annoncé sa retraite le 15 septembre dernier à l'âge de 41 ans. De Marseille - sa première finale sur le circuit ATP - , à Londres - terre de ses plus grands exploits et de son dernier tournoi officiel - , Roger Federer aura bâti un gigantesque royaume en 25 ans de carrière.

Monsieur tennis

Au milieu de l'après-midi, ce jeudi 15 septembre, un tremblement de terre vient de se produire sur la planète tennis. Roger Federer annonce mettre un terme à sa carrière. L'onde, si puissante, touchera finalement l'ensemble du monde du sport.

Que peut-on retenir de l’immense carrière de Roger Federer ? Tellement de choses. Des titres forcément, des records naturellement, des victoires - il y en a eu tellement -, des sourires mais aussi des larmes et des défaites. Il y a aussi ces choses que seul un génie peut exprimer et que nous, simples mortels, pouvons qu’admirer. Picasso pinceau à la main, Federer raquette au bout des doigts. 

Ses coups de talent pur, sa finesse inégalée et son relâchement unique ont fait du Bâlois un roi. Cherchez une photo du maestro suisse forçant sur un coup droit, grimaçant sur un revers, vous n’en trouverez pas. Plus qu’”une main” comme en veut l’adage, Federer c’est aussi un mouvement. Une légèreté qui lui a souvent valu la comparaison avec un danseur étoile. Comme Mohammed Ali qui piquait telle une guêpe sur les rings ou Michael Jordan survolant le parquet pour dunker, le Suisse flottait sur le court.

Aérien, “RF” a façonné son jeu de jambes. Un don certes, mais un travail acharné pour atteindre la peRFection. Bien évidemment, Federer est doué. Mais il a extrêmement travaillé avec son préparateur physique de toujours, le discret Pierre Paganini. Car on n’atteint pas les sommets dans un sport aussi exigeant que le tennis uniquement qu'avec la technique. Sa maîtrise à une main de la pluralité et de l’intégralité des coups possibles - et féderesques - a masqué souvent son incroyable physique. 

Une rapidité vers l’avant prodigieuse avec un oeil de lynx qui lui ont permis d’être très rarement pris sur une amortie adverse. Un jeu de jambes précis, un “tricotage” millimétré pour pouvoir taper la balle dans une position optimale. Le buste droit et équilibré même lorsqu’il faut ramener un énième coup droit en bout de course, l’Helvète était une machine. 

Puis il y a l’aura. Que dire de ce qu’il dégage. Celles et ceux - et ils sont nombreux - qui ont eu la chance d’assister à un de ses récitals ont forcément été frappés par son allure. Quand “Rodgeur” pénètre sur le court, la foule s’illumine et le décor est posé. À la pointe de la mode, “Federer c’est la classe” entend-on souvent. Il est celui qui a pu se permettre de jouer en blanc sur terre battue, de se présenter en costume immaculé en finale de Wimbledon. Le bandeau toujours bien ficelé, la mèche jamais récalcitrante, “RF” ne semble même pas transpiré. 

Finalement, c’est un tout. Son engagement pour les joueurs, son accessibilité avec les fans, son caractère et sa personnalité qui ont transporté ce sport dans une autre dimension.

Un tout que définit Roger Federer comme le “monsieur tennis”.

"Beaucoup de choses vont me manquer. Tout le monde aimerait jouer pour toujours. J'adore être sur le court, affronter les autres, voyager, ça n'a jamais été dur pour moi. J'adore gagner, apprendre des défaites. Tout était parfait. J'ai adoré ma carrière sous tous ses aspects. Tout le monde doit arrêter à un moment et le chemin parcouru fut incroyable
Roger Federer, le 21 septembre 2022 lors de la conférence de presse pour la Laver Cup 2022

Son aventure a (un peu) commence à Marseille

Roger Federer a notamment battu à l'Open 13 Carlos Moya à 17 ans en 1999, disputé sa première finale sur le circuit en 2001 pour ensuite remporté le titre en 2003

Il était une fois la naissance d'un phénomène. L'histoire, courte mais intense, entre Roger Federer et Marseille pourrait commencer ainsi. Oui, le plus génial joueur de l'histoire du tennis a essuyé les plâtres de sa carrière au Palais des Sports. On n'en était qu'à la préhistoire de celui qui allait passer plus de 300 semaines sur le trône de N.1 mondial au long de son aventure tennistique et remporter 103 titres. L'un d'entre eux a été conquis devant le public marseillais en 2003, année de sa dernière venue. "Quand je l'avais revu plus tard à Bercy, se souvient Jean-François Caujolle, il m'avait reparlé du moment où il était au tie-break contre (Jonas) Björkman en finale. Il était tellement nerveux qu'il avait du mal à tenir sa raquette. Il m'a dit : 'C'était tellement important pour moi de gagner'."

Le pacte de la victoire

Car, Federer et Marseille, c'est l'histoire d'un pacte. Touché par la confiance de Caujolle, qui a crû en lui à la sortie de l'adolescence (il n'avait pas encore 18 ans en 1999 pour sa première venue au bénéfice d'une wild card), l'Helvète avait juré de revenir tant qu'il n'aurait pas soulevé le trophée. "Après sa défaite de 1999, il m'appelle de l'aéroport et me dit dans un éclat de rires : 'Même si je suis numéro 1 l'année prochaine, je reviendrai gratuitement. Et je viendrai tant que je n'aurai pas gagné le tournoi'."

Federer, 243e au classement ATP, venait de créer la première grande sensation de sa carrière en battant, d'entrée de tournoi, celui qui allait devenir le mois suivant numéro 1, Carlos Moya. Il s'inclinait ensuite contre Arnaud Clément, qui l'a battu trois fois lors de leurs quatre premières confrontations. "On me l'a souvent répété, sourit l'Aixois de 44 ans. Mais, quand je l'avais battu, avec beaucoup d'humilité, j'étais meilleur que lui. Il n'y avait rien d'extraordinaire. Il était très prometteur, avait un talent dingue, mais il manquait encore quelque chose. Par la suite, quelques années après, je n'étais pas forcément beaucoup moins fort, lui était passé dans une autre dimension. Quand on se rejouait, je me rendais compte à quel point je pouvais être impuissant, ridicule sur le terrain. J'ai notamment fait trois matches d'affilée contre lui sans avoir la moindre balle de break, alors que le retour était l'une de mes qualités."

"Un déclic pour lui"

"Je pense que Marseille, en 1999, a été un déclic pour Roger. Sortir Moya, c'est une méga performance ! C'est son premier tournoi significatif et sa première grande victoire", se souvient Caujolle, alors bien tuyauté par le groupe McCormack dont le Bâlois est l'un des poulains. Federer revient en 2000 mais loupe la dernière marche, battu dans une finale 100 % suisse par Marc Rosset. En larmes, "RF" est inconsolable aux côtés du vainqueur qui arbore un maillot de l'OM.

Il devra attendre encore trois ans pour un happy end. Personne ne le sait encore mais ce sera son clap de fin à Marseille. En 2004, il déclare forfait au dernier moment après une blessure. "Plus tard, on n'avait plus les moyens de se le payer, le risque aurait été beaucoup trop important, reconnaît Caujolle. On n'a pas de regret, pas d'amertume. Je n'ai pas cherché à le contacter. À un moment donné, tu restes à la mesure de ton événement."

Texte : Arnaud Vitalis et N.G./ Photos archives Bruno Souillard et Thierry Garro

Une compilation du maître à Wimbledon ? Ses coups uniques...

Une compilation du maître à Wimbledon ? Ses coups uniques...

Goat ou pas ?

Les fans se disputent régulièrement à coups d'arguments plus ou moins valables pour affirmer que leur idole est le “plus grand joueur de tous les temps”. Un débat qui ne semble pas concerner les principaux protagonistes...

Ce débat use depuis plusieurs années maintenant. Eté 2009, il n'existe pas encore. Il n'y a même pas l'ombre d'un doute sur le fait que Federer soit le le "Greatest of all time" (le meilleur de tous les temps). Enfin victorieux à Roland-Garros (et après quatre revers en finale face à Nadal), le Suisse compte 14 titres du Grand Chelem dans son sac. Un chiffre à l'époque jugé stratosphérique. On ignorait de quoi le futur serait fait...

Car à Paris, Federer rejoint une de ses idoles, Pete Sampras. "Pistol" détenait ce record jugé inaccessible (il n'a jamais remporté de "RG" à la différence des 3 Goats). Quelques semaines plus tard, après une finale d'un autre temps à Wimbledon contre Andy Roddick (Federer effectuera ce jour-là 50 aces dans le match !), le Suisse se retrouve sur le toit du monde.

Les années ont passé et ses records (le nombre de semaines numéro 1 mondial, de Grand Chelem par exemple) sont tombés. Nadal et Djokovic sont passés devant. Qu'importe, le tennis ne se résume pas que dans les stats. Le sport en général. Oui, Federer restera derrière en terme de majeurs remportés. Mais son impact pendant un quart de siècle sur le monde de la petite balle jaune ne sera lui jamais égalé.

Federer c'est un palmarès. Complet, riche, incroyable. Mais surtout "LA" personnalité qui électrise les foules dans tous les stades où il passe. C'est un être hors norme reconnu par tous ses pairs, il n'y a qu'à voir les louanges qui coulent depuis une semaine sur les réseaux sociaux, les plateaux télé ou les articles de journaux. Federer c'est l'élégance poussée à son paroxysme, c'est ces coups incroyables dont lui seul a le secret, c'est aussi ces failles lorsqu'il font en larmes à Melbourne, mais aussi ces larmes de joie lorsqu'il est seul sur sa chaise blanche sur son Center Court et regarde ses enfants en tribune.

Nadal, Djokovic sont des Goat. Des légendes il n'y a aucune discussion possible. Andy Murray dans un tweet respirant l'humour "so british" écrit : "Trois Goat + 1", pour légender une photo du Big 4 sur laquelle il figure. Et que dire de cette phrase de Jo Tsonga il y a quelques jours dans les colonnes de L'Équipe : "Bien sûr Rafa et Novak sont des Goat. Mais Roger, c'est le padre des Goat".

Ils parlent de lui...

Rafael Nadal : "Un triste jour pour moi"

"Mon ami et rival. J'aurais aimé que ce ce jour n'arrive jamais. C'est un jour triste pour moi et pour le sport. Ce fut un plaisir, mais aussi un honneur et un privilège de partager toutes ces années avec toi".

Novak Djokovic : "Son style parfait"

"Roger, c'est difficile de vivre ça et de mettre des mots sur tout ce que nous avons partagé. Ta carrière a donné le ton de ce que signifie atteindre l'excellence et dominer avec intégrité et sang-froid".

Del Potro : "Le tennis ne sera plus jamais le même

"JE T’AIME Roger. Merci pour tout ce que tu as fait pour le tennis et pour moi. Le tennis ne sera plus jamais le même sans toi "

Billie Jean King : "Le jeu le plus complet"

"C’est le champion des champions. Il a le jeu le plus complet de sa génération et a saisi les cœurs des fans de sport du monde entier avec son incroyable rapidité sur le court et un puissant esprit tennis".

Serena Williams : "Tu as inspiré des millions de personnes"

"Nos chemins ont toujours été si similaires, si semblables. Tu as inspiré des millions et des millions de personnes – dont moi. Bienvenue au club des retraités".

John McEnroe : "Le plus beau joueur"

"Tu es le plus beau joueur que je n'ai jamais vu sur un court de tennis. Merci, merci pour tout ce que tu as fait"

Un dernier match entre légendes

Ce vendredi soir, Roger Federer dispute ses derniers sets avec Rafael Nadal

Rivaux pendant des années, les deux hommes ont construit depuis presque deux décennies une amitié en dehors et sur le court. Et pourtant, tout oppose les deux légendes du tennis. Le droitier Federer, face au gaucher Nadal. L'esthétisme et le "relax" de l'Helvète, face à la puissance et la "grinta" de l'Espagnol.

Le premier de leur 40 face-à-face remonte à mars 2004. Ce soir-là, à Miami (Masters 1000), un jeune Majorquin au pantacourt qui n'a pas encore 18 ans, alors 34e joueur mondial, va créer la sensation. "RF" est sonné, battu. Lui le numéro 1 mondial, vainqueurs de deux titres du Grand Chelem (Wimbledon 2003 et Open d'Australie 2004) est sorti en deux petits sets et un peu plus d'une heure de jeu. Un cinglant 6/3 - 6/3. Sur dur qui plus est. Le "Fedal" est né.

La suite. On ne va pas vous raconter toute l'histoire. Il y aurait tellement à dire. Federer va continuer à dominer le circuit mondial. Tout ? Non, Nadal résiste encore et toujours sur son sol ocre au Bâlois. Puis, il va venir s'imposer sur les terres britanniques du suisse avec en point d'orgue cette finale légendaire de 2008, terminée dans la nuit après un match en cinq sets.

Rivaux mais avec tellement d'admiration l'un envers l'autre pour tout le travail fourni. On n'annonce rien de nouveau en affirmant que le clan Nadal (à l'époque, Rafa était entraîné par son oncle Toni, dithyrambique sur le Suisse) est probablement le plus fair-play du circuit. Et dans ce match de la décennie - peut-être de l'histoire - les proches des deux légendes sont réunies dans la même box. Des images inimaginables presque : celle du papa de Rafael Nadal se prendre la tête à deux mains puis applaudir sur un passing de Federer prodigieux sur une balle de titre pour son fils. Celle d'une Mirka Federer se lever le poing levé lorsque son époux de champion parvient à recoller à deux sets partout.

Un lien indescriptible entre les deux hommes, un chassant l'autre jusqu'à finalement le dépasser. Numéros 1 et 2 mondiaux, les deux hommes vont pendant des années s'affronter très souvent en finale. Roland-Garros 2008, Roland-Garros 2011, Wimbledon 2006, 2007 et donc 2008 sans oublier l'Open d'Australie 2009 mettant en larmes Federer. Et que dire de ce come-back commun en janvier 2017, où les deux monstres s'affrontent pour une ultime fois en finale de Grand Chelem.

Ils se sont tellement joués. Nadal mène au score dans les affrontements grâce à des années de domination, qui a fini par s'inverser sur les dernières années. C'était son souhait et il sera exaucé ce vendredi soir avec un dernier rendez-vous.

Cette fois, comme en 2017, les deux hommes seront du même côté. Un double qui aura des airs de grande fête. Un dernier ballet.