Gouvernement : la Provence, grande oubliée des castings post-présidentielle

De Charles de Gaulle à Emmanuel Macron, de Michel Debré jusqu’à Edouard Philippe, le poids des urnes provençales et la reconnaissance des talents du Midi ont rarement trouvé d’écho au sommet de l’État au lendemain d'une présidentielle. Revue d'effectifs au fil de la Ve République.

De tout temps, la composition du premier gouvernement post-élection présidentielle a relevé de l’exercice d’équilibriste : l’idéal étant de distribuer quelques maroquins à ceux qui ont bien servi la cause et la campagne, tout en respectant l’ensemble des tendances de la majorité, sans, bien sûr, créer de déséquilibre géographique et en ajustant les bons profils aux bons ministères. Sous la Ve République, par le prisme de ce casse-tête, on retrouve finalement très peu d’hommes politiques de la région, appelés à gouverner au lendemain de la victoire : pour compter les premiers choix de Matignon issus du Sud-Est, il ne faut guère utiliser plus que les doigts d’une main ! Et se rabattre sur quelques cas particuliers pour allonger un peu la liste, par exemple sur des ministres nommés au lendemain d’un succès aux législatives qui inaugurait une période de cohabitation : François Léotard (UDF), député du Var et maire au long cours de Fréjus, à la Culture et à la Communication de 1986 à 1988 puis à la Défense de 1993 à 1995 ; Élisabeth Guigou (PS), alors basée dans le Vaucluse, à la Justice de 1997 à 2000. Ou encore, Michel Vauzelle (PS), devenu porte-parole de la présidence de la République en mai 1981 (il attendra 1992 et le gouvernement Bérégovoy pour être pendant un an garde des Sceaux). On pourrait bien saluer la nomination en 1981 d’Émile Biasini au secrétariat aux Grands Travaux présidentiels : l’homme qui a mené le projet du Grand Louvre et de la Bibliothèque nationale de France est natif de Noves… mais à part des études de Droit à Aix, son implantation locale est inexistante. On pourrait noter encore Jacques Baumel, secrétaire d’État en 1969 auprès de Jacques Chaban-Delmas : né à Marseille en 1918, c’est là qu’il prit part à la Résistance en dirigeant le mouvement Combat, avant de mener sa carrière politique en… Moselle. En clair, de Charles de Gaulle à Emmanuel Macron, de Michel Debré jusqu’à Edouard Philippe, le poids des urnes provençales et la reconnaissance des talents du Midi ont rarement trouvé d’écho au sommet de l’État.

Joseph Comiti, gaulliste historique et chirurgien gastro-entérologue à l’hôpital de la Timone à Marseille / La Provence
Joseph Comiti, gaulliste historique et chirurgien gastro-entérologue à l’hôpital de la Timone à Marseille / La Provence
1969 / Joseph Comiti, forme olympique
Au lendemain de la victoire de Georges Pompidou en juin 1969, Joseph Comiti, chirurgien gastro-entérologue à l’hôpital de la Timone à Marseille est appelé au gouvernement de Jacques Chaban-Delmas. Il conserve en fait son poste de secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs, qu’il occupait déjà sous le gouvernement précédent. Il le conservera encore sous les trois gouvernements Messmer et sera un éphémère ministre en charge des relations avec le Parlement, de mars 1973 à février 1974, avant de prendre en charge l’Outre-mer. Député UDR puis RPR de la première circonscription des Bouches-du-Rhône jusqu’en 1981, ce gaulliste historique, patron de la fédération départementale, est plus ou moins tombé dans les oubliettes de l’Histoire provençale à la différence de Gaston Defferre, son meilleur ennemi contre lequel il a bataillé dans les campagnes municipales à Marseille. Peut-être parce qu’il a été éclipsé dans les mémoires par son frère Paul, ancien garde du corps du général de Gaulle et longtemps responsable du sulfureux SAC qui disparaîtra avec la tuerie d’Auriol en 1981 ?
1981 / Gaston Defferre, le consacré
Depuis le début de la Ve République, Gaston Defferre est l’homme politique de la région qui a exercé au plus haut des responsabilités gouvernementales. Maire de Marseille depuis 1953, à la tête de la puissante fédération SFIO puis du PS, candidat à la présidentielle en 1969, Gaston Defferre était attendu au poste de Premier ministre au lendemain de la victoire de la gauche en 1981. Il décroche finalement le ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation sous Pierre Mauroy. Il sera ensuite ministre d’État chargé du Plan et de l’Aménagement du territoire dans le gouvernement Fabius. Disparu en 1986, il a à son actif la mise en place d’une des plus importantes réformes de la gauche, les premières lois de décentralisation. Un bilan gouvernemental personnel qui comprend également son activité sous la IVe République, avec la loi-cadre de 1956 qui a favorisé la décolonisation de l’Afrique noire et de Madagascar.

Maire de Marseille, Gaston Defferre entre au gouvernement en charge de l'Intérieur et de la Décentralisation / La Provence
Maire de Marseille, Gaston Defferre entre au gouvernement en charge de l'Intérieur et de la Décentralisation / La Provence

Pierre Pasquini (RPR) est nommé ministre des Anciens combattants et Victimes de guerre / Nice-Matin
Pierre Pasquini (RPR) est nommé ministre des Anciens combattants et Victimes de guerre / Nice-Matin
1995 / Pierre Pasquini, de Nice à la Corse
Gaulliste historique et ancien Résistant, Pierre Pasquini (RPR) est nommé ministre des Anciens combattants et Victimes de guerre dans le premier gouvernement Juppé en mai 1995. Il sera reconduit dans le gouvernement suivant, en tant que ministre délégué. Avocat niçois né à Sétif (Algérie), à la carrière parlementaire fleuve, il avait été élu député UNR des Alpes-Maritimes sans discontinuer de 1958 à 1967. La carrière politique de cet ancien adjoint de Jean Médecin, le maire de Nice, s’est poursuivie ensuite en Corse, où il fut élu député de 1978 à 1981 et de 1986 à 1993. Il y multiplia également les mandats locaux et fut, pendant plus de 30 ans, maire de l’Ile-Rousse.
2002 / Mattéi-Muselier-Falco, la triplette sudiste de Raffarin
Au lendemain du séisme du 21 avril 2002 et de la percée frontiste particulièrement marquée dans le Sud de la France, la nomination au ministère de la Santé de Jean-François Mattéi (UMP), médecin marseillais en pointe sur les questions législatives médicales et député depuis 1989, n’est pas vraiment une surprise tant ses compétences sont reconnues. Le mois suivant, après les législatives, Hubert Falco (UMP), homme fort de la droite varoise, se voit offrir le poste de secrétaire d’État délégué aux Personnes âgées. Un signe de reconnaissance pour le maire de Toulon, qui avait repris sa ville l’année précédente au frontiste Jean-Marie Le Chevallier. Mattéi et Falco seront ensemble comptables de la gestion de la canicule de l’été 2003 ; laquelle ne sera pas jugée à la hauteur de l’ampleur de cette crise sanitaire qui a fait 15 000 morts (Mattéi ne sera, d’ailleurs, pas confirmé au remaniement suivant). Troisième nom provençal de cette équipe gouvernementale conduite par Jean-Pierre Raffarin, celui de Renaud Muselier qui a également dû attendre sa réélection dans la 5e circonscription des Bouches-du-Rhône pour être appelé au secrétariat d’État aux Affaires Étrangères. Placé sous la tutelle du Quai d’Orsay dirigé par Dominique de Villepin, sa marge de manœuvre restera pour le moins restreinte. Au point qu’en 2003, il obtiendra le Prix de l’humour politique pour cette phrase : « Villepin fait tout, je fais le reste ».

Ici avec Jean-Claude Gaudin et Renaud Muselier, Jean-François Mattéi entre à la Santé en 2002 / Photo Bruno Souillard
Ici avec Jean-Claude Gaudin et Renaud Muselier, Jean-François Mattéi entre à la Santé en 2002 / Photo Bruno Souillard

Le Niçois Christian Estrosi est nommé secrétaire d’État chargé de l’Outre-mer / La Provence
Le Niçois Christian Estrosi est nommé secrétaire d’État chargé de l’Outre-mer / La Provence
2007 / Christian Estrosi, « touch and go »
Après avoir été délégué à l’Aménagement du territoire sous le gouvernement Villepin, Christian Estrosi est nommé secrétaire d’État chargé de l’Outre-mer après la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007 et sa réélection comme député des Alpes-Maritimes avec plus de 60% des voix. Cadre du RPR puis de l’UMP dans une partie de la région où le Front national menace toujours et où la droite est divisée, il abandonnera dès l’année suivante son maroquin ministériel pour présider aux destinées de la ville de Nice et de la métropole Nice Côte d’Azur qu’il venait reprendre à Jacques Peyrat (divers droite, ex-FN). S’il reviendra dans le gouvernement Fillon en juin 2009, en charge de l’Industrie, Christian Estrosi le quittera définitivement en novembre 2010.
2014 / Marie-Arlette Carlotti sur tous les fronts
Membre de l’équipe de campagne de François Hollande, la Marseillaise Marie-Arlette Carlotti (PS) est nommée au lendemain de la victoire de la gauche en 2012, ministre déléguée auprès du ministère de la Santé, chargée des Personnes handicapées dans le premier gouvernement Ayrault. Le mois suivant, elle est élue députée face à Renaud Muselier dans la 5e circonscription des Bouches-du-Rhône. Son travail au ministère, sur la lutte contre la pauvreté ou encore sur le plan autisme, restera parasité par ses ambitions locales. Dès l’année suivante, la ministre travaille en effet à sa candidature infructueuse à la primaire socialiste pour la mairie de Marseille, dans un contexte troublé par l’affaire Guérini (Marie-Arlette Carlotti faisait alors partie des rares élus à s’être désolidarisés de la majorité départementale du Conseil général des Bouches-du-Rhône). Elle sortira du gouvernement fin mars 2014, avec le remaniement provoqué la défaite de la gauche lors des municipales.

Membre de l’équipe de campagne de François Hollande, Marie-Arlette Carlotti gagne le dossier des Personnes handicapées / La Provence
Membre de l’équipe de campagne de François Hollande, Marie-Arlette Carlotti gagne le dossier des Personnes handicapées / La Provence

Sylvie Goulard, Christophe Castaner et Françoise Nyssen / La Provence
Sylvie Goulard, Christophe Castaner et Françoise Nyssen / La Provence
2017 / L'exilée de Marseille, le grognard des Alpes et la « Madame Culture » d'Arles
En mal de troupes, Emmanuel Macron et Edouard Philippe constituent avec Chirac/Raffarin en 2001 le couple exécutif qui a le plus puisé dans le vivier du Sud-Est. Ceci expliquant cela ? Toujours est-il qu'au printemps 2017, trois Provençaux entrent au gouvernement : Sylvie Goulard l'exilée de Marseille, Christophe Castaner le grognard des Alpes et Françoise Nyssen la « Madame Culture » d'Arles. Sauf que la première jette vite l'éponge, emportée par l'enquête sur l'affaire des assistants parlementaires du MoDem au Parlement européen. La troisième fera à peine mieux, remplacée un an plus tard après avoir été mise en cause pour des travaux réalisés sans autorisation à Paris et à Arles, ainsi que pour son soutien à l'anthroposophie, un courant de pensée mystique né dans l'Allemagne du début du XXe siècle. Seul l'ex-maire socialiste de Forcalquier survivra aux tempêtes gouvernementales : tour à tour secrétaire d'État chargé des Relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement d'Édouard Philippe, délégué général de La République en marche (LREM), ministre de l'Intérieur président du groupe La République en marche à l'Assemblée nationale, Christophe Castener peut revendiquer le titre de couteau suisse de la « Macronie ».