Il y a 125 ans,
la première naissance du cinéma

Après des présentations à Paris, Lyon et La Ciotat, Antoine Lumière organise la première projection de films payante le 28 décembre 1895. Alors que les salles de cinéma fermées à cause du Covid-19 reprennent du service en jauge réduite, retour sur les racines d'une invention qui a conquis le monde.

L'appareil de projection élaboré dans l'usine Lumière de Lyon-Monplaisir / Château Lumière

L'appareil de projection élaboré dans l'usine Lumière de Lyon-Monplaisir / Château Lumière

L'appareil de projection élaboré dans l'usine Lumière de Lyon-Monplaisir / Château Lumière

Trente-trois spectateurs dont deux journalistes, dix films de 50 secondes chacun projetés pour une première mondiale d'une demi-heure, il y a très exactement 125 ans... Ainsi peut se résumer la naissance du cinéma tel que nous le connaissons toujours, avec la séance payante organisée le 28 décembre 1895 à Paris, dans le Salon indien du Grand Café. L'idée en revient à Antoine Lumière, le père de deux industriels lyonnais, Louis et Auguste : s'inspirant notamment d'un procédé imaginé par l'Américain Thomas Edison, ils ont inventé quelques mois plus tôt une machine nommée cinématographe, ce qui signifie « écrire le mouvement ». « Génie de la nouveauté, on peut filmer, développer et projeter avec le même appareil », s'enthousiasme Thierry Frémaux, le directeur de l'Institut Lumière et du Festival de Cannes.

Si la recette est plutôt maigre ce jour-là (33 francs), les spectateurs sont éberlués. «  La séquence du ''Repas de bébé'', où on voit des feuilles bouger à l’arrière-plan, le mouvement des vagues qui est saisi dans ''La Mer'', la magie est là, dans ces détails qui n’avaient jamais été reproduits jusqu’alors », s'enthousiasme l'historien Jacques Gerber. Grâce au bouche-à-oreille et aux échos dans la presse, le succès ne tarde pas : dès la semaine suivante, bien que les séances soient doublées, la file d'attente court du boulevard des Capucines jusqu'à la rue Caumartin. D'après Danielle Chadych et Dominique Leborgne (« Paris : Son histoire, ses quartiers et ses monuments », Editions First), la police intervient pour contenir les 2 000 personnes qui veulent entrer dans la salle. Coup d'essai, coup de maître, annonciateur de l'irrésistible marche en avant du cinéma : en quelques mois, des projections sont organisées un peu partout dans le monde, provoquant un engouement qui ne s'est jamais démenti depuis.

Affiche publicitaire réalisée début 1896 par Henri Brispot / La Provence

Affiche publicitaire réalisée début 1896 par Henri Brispot / La Provence

Affiche publicitaire réalisée début 1896 par Henri Brispot / La Provence

Le programme de la séance du 28 décembre 1895 dans le Salon indien du Grand Café / La Provence

Le programme de la séance du 28 décembre 1895 dans le Salon indien du Grand Café / La Provence

Le programme de la séance du 28 décembre 1895 dans le Salon indien du Grand Café / La Provence

Auguste et Louis Lumière / La Provence

Auguste et Louis Lumière / La Provence

Auguste et Louis Lumière / La Provence

Le point de départ de l'histoire s'explique sans doute par une des obsessions d'Antoine, vaincre la mort en faisant bouger les images photographiées : il pressent une invention décisive depuis qu'il a découvert le kinétoscope d'Edison et encourage ses fils à innover. Fin 1894, dans son laboratoire lyonnais, Louis invente le mouvement de l'image. Respectant un pacte de jeunesse, les deux frères déposent ensemble le brevet du cinématographe le 13 février 1895. Le 19 mars, c'est le tournage du premier film, « La Sortie de l'usine Lumière à Lyon ». Le 22 mars à Paris, première démonstration devant la Société d'encouragement pour l'industrie nationale, avec un succès aussi formidable qu'inattendu. Nouvelle projection triomphale à Lyon, le 10 juin, pour le Congrès des sociétés françaises de photographie.

L'été 1895 se passe à La Ciotat, où Antoine a acquis quelques années plus tôt une imposante propriété. Il est mis à profit par les jeunes inventeurs, ils ont une trentaine d'années, pour effectuer les derniers réglages et tourner des films dans le cadre familial, profitant de la luminosité provençale : « L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat », « L'Arroseur arrosé », « Le Repas de bébé »... « Si le cinématographe est bien évidemment né dans les ateliers lyonnais, La Ciotat tout aussi évidemment est le berceau du cinéma », assure Michel Cornille, auteur de plusieurs ouvrages et infatigable animateur de L'Eden-Théâtre, le plus ancien cinéma au monde encore en activité (la première séance remonte à 1899).

« L'Arroseur arrosé », tourné durant l'été 1895 / Institut Lumière

« L'Arroseur arrosé », tourné durant l'été 1895 / Institut Lumière

« L'Arroseur arrosé », tourné durant l'été 1895 / Institut Lumière

Durant l'été 1895, les frères Lumière tournent la première version de « L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat ». / La Provence

Parfois mise en doute du côté de Lyon, l'importance de ces mois dans le Sud de la France a pourtant été certifiée par Louis Lumière lui-même, dans un courrier adressé en 1931 au poète provençal Émile Ripert : « C'est dans le courant de l'été 1895 que je tournai à La Ciotat (des films comme) 'Baignade en mer', 'Barque sortant du port', 'La Partie d'écarté', etc., qui figurèrent aux premiers programmes de la salle de projection du sous-sol du Grand Café, ouverte le 28 décembre 1895. Ces renseignements... sont l'expression de l'exacte vérité ».

La propriété de la famille Lumière à La Ciotat / Cinéma Eden-Théâtre

La propriété de la famille Lumière à La Ciotat / Cinéma Eden-Théâtre

La propriété de la famille Lumière à La Ciotat / Cinéma Eden-Théâtre

C'est d'ailleurs à La Ciotat qu'en dehors des démonstrations scientifiques, fut organisée la première séance sur invitations, le 21 septembre dans le grand salon du Palais Lumière. Ce dont rendait compte un article publié deux jours plus tard par « Le Petit Marseillais », sous la plume d'un dénommé Léon Bonifay : « Samedi soir, M. et Mme Antoine Lumière conviaient à leur somptueuse demeure du Clos des Plages l’élite de la société ciotadenne. Cent cinquante invités environ avaient répondu à cette gracieuse invitation ; les honneurs de la réception étaient faits avec une grâce exquise par Mme et Melle Lumière et Mme Winckler. Le but de cette soirée était de faire assister cette réunion choisie à des expériences de cinématographe. Nous n’entreprendrons pas de détailler les mouvements de cet ingénieux mécanisme. Nous nous bornerons à démonter son fonctionnement, son utilité et les services qu’il est appelé à rendre à la photographie ». En octobre, répondant à l’invitation de son ami Raoul Gallaud, Antoine Lumière tente de renouveler l'expérience à l’Éden-Théâtre : la séance tourne toutefois court, en raison d’un problème technique.

Puis viendra la fameuse projection payante du Salon indien et avec elle, une épopée de 125 ans, à la fois révolution technologique, artistique, économique et sociale. Qui, en raison de l'épidémie de Covid-19, a pourtant dû se contenter d'un bien triste anniversaire : ce que deux guerres mondiales n'avaient pu faire, un virus y est parvenu, à savoir la fermeture des salles de cinéma. Pas de quoi sombrer pour autant dans le découragement, à croire une tribune publiée par Thierry Frémaux dans le « Journal du dimanche » : « Lumière a inventé les salles, le public les réinvente, c'est sa présence qui en fait la magie. Les spectateurs sont revenus lors du premier déconfinement, ils étaient prêts à le faire à nouveau le 15 décembre, ils reviendront à la première occasion ».

Thierry Fremaux, directeur de l’Institut Lumière et délégué général du Festival de Cannes / Photo Jérôme Rey

Thierry Fremaux, directeur de l’Institut Lumière et délégué général du Festival de Cannes / Photo Jérôme Rey

Thierry Fremaux, directeur de l’Institut Lumière et délégué général du Festival de Cannes / Photo Jérôme Rey

« Partie de boules », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1896 / Institut Lumière

« Partie de boules », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1896 / Institut Lumière

« Partie de boules », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1896 / Institut Lumière

« Barque sortant du port », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1895 / Institut Lumière

« Barque sortant du port », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1895 / Institut Lumière

« Barque sortant du port », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1895 / Institut Lumière

« Querelle enfantine », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1896 / Institut Lumière

« Querelle enfantine », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1896 / Institut Lumière

« Querelle enfantine », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1896 / Institut Lumière

« Embarquement des filets de pêche », opérateur inconnu, réalisé à La Ciotat en 1896 / Institut Lumière

« Embarquement des filets de pêche », opérateur inconnu, réalisé à La Ciotat en 1896 / Institut Lumière

« Embarquement des filets de pêche », opérateur inconnu, réalisé à La Ciotat en 1896 / Institut Lumière

« Pierrot et la mouche », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1896 (avec Félicien Trewey) / Institut Lumière

« Pierrot et la mouche », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1896 (avec Félicien Trewey) / Institut Lumière

« Pierrot et la mouche », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1896 (avec Félicien Trewey) / Institut Lumière

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« Partie de boules », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1896 / Institut Lumière

« Partie de boules », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1896 / Institut Lumière

« Partie de boules », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1896 / Institut Lumière

« Barque sortant du port », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1895 / Institut Lumière

« Barque sortant du port », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1895 / Institut Lumière

« Barque sortant du port », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1895 / Institut Lumière

« Querelle enfantine », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1896 / Institut Lumière

« Querelle enfantine », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1896 / Institut Lumière

« Querelle enfantine », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1896 / Institut Lumière

« Embarquement des filets de pêche », opérateur inconnu, réalisé à La Ciotat en 1896 / Institut Lumière

« Embarquement des filets de pêche », opérateur inconnu, réalisé à La Ciotat en 1896 / Institut Lumière

« Embarquement des filets de pêche », opérateur inconnu, réalisé à La Ciotat en 1896 / Institut Lumière

« Pierrot et la mouche », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1896 (avec Félicien Trewey) / Institut Lumière

« Pierrot et la mouche », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1896 (avec Félicien Trewey) / Institut Lumière

« Pierrot et la mouche », réalisé par Louis Lumière à La Ciotat en 1896 (avec Félicien Trewey) / Institut Lumière