Ivan Wilhelm, le visionnaire du barrage de Serre-Ponçon
HISTOIRE Dès 1896, ce polytechnicien a l’idée de domestiquer la Durance en créant un immense lac. Un rêve géant qui ne se concrétisera qu’en 1959
Domestiquer la Durance, protéger l’homme et les terres de sa puissance, puis venir en aide aux paysans victimes en aval d’un labeur aride et des sécheresses… L’idée est ancienne puisque dès le milieu du XIXe siècle, notamment après les crues dévastatrices de 1843 et 1856, la construction d’un barrage est envisagée. Deux sites sont étudiés, l’un à l’amont d’Embrun, l’autre déjà le défilé de Serre-Ponçon. Les sondages montrent toutefois que ces projets ne sont pas réalisables. Sauf qu’Ivan Wilhelm, un ingénieur des Ponts-et-Chaussées, ne désarme pas : dès 1896, il imagine une solution pour Serre-Ponçon, la réalisation d’un barrage-poids.
Né en 1867, Ivan Wilhelm était d’origine alsacienne, on sait peu de chose de lui avant son arrivée dans les Alpes-du-Sud. L’homme se prend de passion pour ses terres et fait visionnaire, ainsi en 1909 : "Nous pourrons, dans une dizaine d’années, contempler un des plus grands barrages du monde et admirer le lac artificiel qui constituera une attraction peu ordinaire, dans un site sauvage et grandiose. Nombreux seront les touristes qui viendront parcourir les rives ou naviguer sur les eaux bleues dans lesquelles se mirent les hautes cimes du Morgon et du Colbas".
En 1913, Ivan Wilhelm publie chez un livre chez Lucien Laveur (Paris), La Durance, étude de l’utilisation de ses eaux et de l’amélioration de son régime par la création de barrages. L’ouvrage est notamment remarqué par la Revue de géographie alpine, qui parle d’un "beau livre, savant et consciencieux, où l’auteur s’attache moins à décrire qu’à prévoir, à préparer l’avenir plutôt qu’à raconter le passé (…). Fort d’une expérience que lui valent plus de vingt années passées à Gap, M. Wilhelm décrit le mal et propose des remèdes". Au premier rang desquels un barrage qui serait "le plus considérable du monde", avec des techniques développées aux États-Unis : son poids serait tel qu’il contiendrait les eaux et donnerait naissance à un lac de 15 kilomètres, "pourvu d’un affluent de 6 kilomètres dans la basse Ubaye".
Mise en sommeil par la guerre de 14-18, l’affaire était toutefois loin d’être gagnée. La hauteur des alluvions fait que trouver de la roche impose toujours de creuser à plus de 100 mètres de profondeur. Ensuite, le projet de voie ferrée entre Chorges et Barcelonnette est en bonne voie et son tracé contrecarre les espoirs de Wilhelm. Douze nouvelles campagnes de sondages sont menées jusqu’en 1927 et des avancées venues des États-Unis imposent finalement l’idée d’un grand barrage en terre, technique considérée désormais comme sûre. En 1946, EDF relance les études et le barrage est déclaré d’utilité publique par une loi du 5 janvier 1955.
Comme souvent, Ivan Wilhelm meurt à Gap en 1951 sans avoir eu le temps de voir concrétiser son rêve géant. Les travaux sont conduits d’avril 1957 à novembre 1959. Ils inspirent notamment L’Eau vive, un film de François Villiers et Jean Giono sorti en 1958 et financé par EDF. En 1963, la société d’étude des Hautes-Alpes salue Ivan Wilhelm : "Aucun projet ne lui paraissait trop grand ou démesuré au regard de l’avenir de la France, pour autant que les fondements techniques en aient été reconnus par lui indiscutables".