Jean-Henri Fabre, le « Félibre des hannetons »

Disparu à Sérignan-du-Comtat dans le Vaucluse, l’entomologiste et zoologue a réalisé en Corse et en Provence des recherches qui font encore autorité. Inspirateur de Miyazaki, il est toujours très populaire au Japon. Reconnu par les plus grands scientifiques de son temps, figure du Félibrige, Jean-Henri Fabre reçut même en 1913 la visite du président de la République Raymond Poincaré. Le Vaucluse lui rend hommage ce week-end pour les 30 ans de la Fête de la Science.

C’est à Saint-Léons, dans le Rouergue entre Millau et Rodez, que Jean-Henri Casimir Fabre voit le jour, le 21 décembre 1823. Il passe les premières années de sa jeunesse chez ses grands-parents au Malaval, un hameau isolé de la commune de Vézin situé à près de 1 000 mètres d’altitude, tout près de son village natal. Dès son plus jeune âge, il est attiré par la beauté d’un papillon ou d’une sauterelle. Le souvenir de cette enfance restera à jamais gravé dans sa mémoire : « En ce qui me concerne, les yeux fermés, j’irais tout droit, après trois quarts de siècle, à la pierre plate où j’ai entendu pour la première fois la douce clochette du crapaud sonneur », écrira-t-il bien des années plus tard. À l’âge de 7 ans, il revient à Saint-Léons, où il suit sa scolarité. En 1833, son père emmène toute la famille à Rodez pour y tenir un café. Jean-Henri est alors admis au collège royal. Quatre années plus tard, la famille s’installe à Toulouse. Jean-Henri Fabre rentre au séminaire qu’il quitte en 5e pour gagner sa vie : il se retrouve à vendre des citrons à la foire de Beaucaire. Il décide alors de se présenter à un concours, afin d’obtenir une bourse pour l’École Normale primaire d’Avignon. Il est reçu et remporte, au bout de trois ans, son brevet supérieur.

La maison natale de Jean-Henri Fabre à Saint-Léons / Tourisme Aveyron
La maison natale de Jean-Henri Fabre à Saint-Léons / Tourisme Aveyron

Jean-Henri Fabre à Carpentras vers 30 ans / L'Harmas de Sérignan-du-Comtat
Jean-Henri Fabre à Carpentras vers 30 ans / L'Harmas de Sérignan-du-Comtat
Le jeune Fabre commence sa carrière d’instituteur à Carpentras, il a alors 19 ans. Sa préférence va aux leçons d’histoire naturelle en pleine garrigue. En 1849, il est nommé professeur de physique à Ajaccio. La nature et les paysages de la Corse le séduisent tellement qu’il décide d’en étudier la flore et la faune. Le botaniste avignonnais Requien lui transmet aussi son savoir. Plus tard c’est en compagnie de Moquin-Tandon qu’il herborise. Les grandes compétences de cet enseignant seront déterminantes pour le cheminement de Jean-Henri Fabre, en tant que naturaliste.
De retour sur le continent en 1853, il accepte un poste dans une école d’Avignon et déménage dans une petite maison, bien modeste, rue des Teinturiers, dans le quartier Saint Dominique. Jean-Henri Fabre se consacre alors à l’étude de la garance (rubia tinctoria) pour en améliorer les rendements en garancine (ou alizarine), un colorant naturel. Les draperies d’Elbeuf utilisaient alors la poudre de garance pour obtenir le rouge des pantalons de l’armée française. En 1860, Jean-Henri Fabre découvre que l’on peut se passer de garance naturelle pour produire de la garancine artificielle, il dépose trois brevets. Il ouvre la voie aux travaux de chimistes allemands (Carl Graebe et Carl Liebermann) et anglais (William Henry Perkin) qui trouvent en 1869 un moyen d’obtenir à partir d’anthracène de l’alizarine, qui devient le premier pigment naturel à être reproduit synthétiquement (en 1885, l’armée française adoptera définitivement l’alizarine artificielle pour teinter ses uniformes, elle est essentiellement importée d’Allemagne).

Fleurs de garance (rubia tinctoria) / La Provence
Fleurs de garance (rubia tinctoria) / La Provence

Le mont Ventoux vu d'Avignon / Photo Cyril Hiely
Le mont Ventoux vu d'Avignon / Photo Cyril Hiely
Personnalité du gouvernement de Napoléon III entre 1863 et 1869, le ministre de l’Instruction publique Victor Duruy lui confie la création de cours du soir pour adultes, mais sa façon très libre d’enseigner déplaît à certains. Il démissionne alors et s’installe à Orange. Il y séjourne avec toute sa famille, pendant presque une dizaine d’années. C’est là qu’il écrit la toute première série des « Souvenirs Entomologiques ». Cette œuvre démontre son génie animé par une passion vraie et authentique de la vie, sous toutes ses formes. Jean-Henri Fabre adore organiser des excursions botaniques au Mont Ventoux avec ses amis, Théodore Delacour et Bernard Verlot. C’est à cette même période qu’il se lie d’amitié avec le philosophe anglais John Stuart Mill, mais ce dernier décède trop tôt, et leur projet commun, d’établir une « flore du Vaucluse » ne voit jamais le jour. Le destin anéantit alors Jean-Henri Fabre, avec la mort de son fils Jules, âgé de 16 ans, le seul de ses six enfants à partager ses passions pour l’observation de la nature. Par la suite, il lui dédiera certaines découvertes d’espèces de plantes.

Les champignons ont toujours intéressé Jean-Henri Fabre. En 1878, il écrit un merveilleux essai sur les « Sphériacées du Vaucluse ». Intarissable au sujet de la truffe, il décrit avec un tel brio son odeur que les gourmets peuvent en retrouver tous les arômes. Jean-Henri Fabre obtient maints titres scientifiques. Malgré cela, il demeure toujours d’une grande simplicité. Il est presque autodidacte. Il maîtrise le dessin, l’aquarelle, et nous lui devons de magnifiques planches sur les champignons, qui rendaient Frédéric Mistral très admiratif.

Le naturaliste a peint 700 aquarelles de champignons / L'Harmas de Sérignan-du-Comtat
Le naturaliste a peint 700 aquarelles de champignons / L'Harmas de Sérignan-du-Comtat

En 1879, Fabre s'installe à Sérignan-du-Comtat, où il réside jusqu’à sa mort / La Provence
En 1879, Fabre s'installe à Sérignan-du-Comtat, où il réside jusqu’à sa mort / La Provence
En 1879, il fait l’acquisition d’un domaine d’un hectare situé dans le village de Sérignan-du-Comtat, à 30 kilomètres d’Avignon. Il comprend un mas et une terre en friche : « l’harmas » en provençal, mot qui le désigne toujours. Là, il peut se livrer à ses expériences et réflexions en toute quiétude. C’est ce dont il avait toujours rêvé. Il y fait aménager sa maison familiale, son bureau, sa bibliothèque. Sur son petit harmonium, il compose des chansons. Ce lieu incomparable est le cadre qui convient enfin à Jean-Henri Fabre, poète et savant. Il y réside jusqu’à sa mort : le 11 octobre 1915, s’éteint celui qui voua toute sa vie à l’étude des insectes, à l’âge de 92 ans. Aujourd'hui, l’Harmas est un musée au milieu d’un magnifique jardin botanique qui respire la Provence.
Jean-Henri Fabre fut admiré de Darwin, de Maeterlinck, de Rostand, de Jünger, de Bergson, Roumanille, Mallarmé… On peut le considérer comme un des précurseurs de l’éthologie, la science du comportement animal et humain. Darwin, à la lecture des « Souvenirs entomologiques », le qualifia « d’observateur inimitable », en raison de la précision de ses expériences, de ses découvertes sur la vie et les mœurs des insectes. Savants, hommes de lettres, tous ses contemporains étaient subjugués par le personnage, un botaniste certes, mais surtout un être envoûté par la nature. Jean-Henri Fabre a reçu Pasteur chez lui, ainsi que John Stuart Mill, et bien d’autres encore. Le ministre Victor Duruy le présente à Napoléon III, qui lui décerne la Légion d’honneur. À l’automne 1913, le président Raymond Poincaré de passage en Provence, fait un détour par l’Harmas, afin de lui rendre hommage. Quelques heures plus tôt, il s’en était allé à Maillane, saluer Frédéric Mistral. Connu comme le « philosophe entomologique » ou le « psychologue du monde des insectes », Jean-Henri Fabre était aussi un merveilleux « félibre » : il nous a laissé un recueil de poèmes, « Oubreto Provençalo ». Majoral du Félibrige, on le surnommait avec affection « le Félibre du Tavan » : en provençal, le « Poète des Hannetons ».

À l’automne 1913, le président Raymond Poincaré se rend à l’Harmas / La Provence
À l’automne 1913, le président Raymond Poincaré se rend à l’Harmas / La Provence


En 1951, Henri Diamant-Berger tourne le film « Monsieur Fabre » / La Provence
En 1951, Henri Diamant-Berger tourne le film « Monsieur Fabre » / La Provence
Le monde du cinéma a rendu de nombreux hommages à Jean-Henri Fabre. Henri Diamant-Berger a réalisé en 1951, « Monsieur Fabre », une biographie du savant incarné par Pierre Fresnay ; Patrick Maurin (Patrick Dewaere) y interprétait le rôle d’un enfant du savant. Luis Buñuel se voulait disciple de Fabre, en témoignent dans ses films, l’acuité de son regard et la précision de son sens de l’observation. Louis de Funès relisait régulièrement les « Souvenirs entomologiques » dont il s’inspirait dans la préparation de ses rôles. L’acteur a d’ailleurs transmis sa passion à son fils, Patrick.
C’est toutefois au Japon que Jean-Henri Fabre est aujourd’hui le plus connu : au pays du Soleil levant, il existe quatre traductions de ses « Souvenirs entomologiques », ses ouvrages scolaires sont disponibles dans les grandes surfaces et les enfants continuent d’apprendre la littérature et les sciences de la nature à travers ses écrits. En 2007, pour fêter le centenaire de la parution du dernier volume des « Souvenirs entomologiques », une exposition montée par le Muséum d’histoire naturelle de Paris a parcouru l’archipel durant un an et NHK, la plus grande chaîne de télévision publique, lui a consacré de nombreux programmes. Quant au maître du dessin animé Hayao Miyazaki, il a toujours revendiqué son admiration pour le « Félibre des hannetons » : les écrits de Jean-Henri Fabre arrivent en douzième position dans sa liste des 50 ouvrages qui l’ont marqué.

Les travaux de Jean-Henri Fabre ont inspiré Hayao Miyazaki pour « Nausicaä de la vallée du vent » / Studio Topcraft
Les travaux de Jean-Henri Fabre ont inspiré Hayao Miyazaki pour « Nausicaä de la vallée du vent » / Studio Topcraft

L’Harmas de Sérignan-du-Comtat / Photo Valérie Suau
L’Harmas de Sérignan-du-Comtat / Photo Valérie Suau
Les lieux de la passion
Dans sa ville natale de Saint-Léons (Aveyron), un petit musée rend hommage depuis 1972 à Jean-Henri Fabre, ainsi qu’un étonnant parc d’attractions baptisé Micropolis. En Provence, l’épicentre de la passion autour du personnage se trouve logiquement à Sérignan-du-Comtat : outre l’Harmas où il conduisit ses derniers travaux qui dépend du Muséum d’histoire naturelle de Paris et qui a été restauré en 2006, le Naturoptère propose de nombreux ateliers et expositions très prisés des plus jeunes. A Avignon, le Palais du Roure possède plusieurs pièces liées à Fabre.
Maison natale de Saint-Léons : 05.65.58.80.54
Micropolis : Le Bourg, Saint-Léons 05.65.58.50.50
L’Harmas : route d’Orange, Sérignan-du-Comtat 04.90.30.57.62
Naturoptère : chemin du Grès, Sérignan-du-Comtat 04.90.30.33.20
Palais du Roure : 3 rue Collège du Roure, Avignon 04.90.80.80.88






Mecynorhina polyphemus, scarabée originaire des forêts tropicales denses d'Afrique / Photo Valérie Suau
Mecynorhina polyphemus, scarabée originaire des forêts tropicales denses d'Afrique / Photo Valérie Suau

Collection de papillons présentée à l'Harmas / Photo Valérie Suau
Collection de papillons présentée à l'Harmas / Photo Valérie Suau

Médaille commémorative des 100 ans de la disparition de Jean-Henri Fabre / La Provence
Médaille commémorative des 100 ans de la disparition de Jean-Henri Fabre / La Provence

Timbre édité en 2015 / La Provence
Timbre édité en 2015 / La Provence

En 1924, Auguste Maillard réalise une statue en bronze qui est installée à Sérignan / Photo Ange Esposito
En 1924, Auguste Maillard réalise une statue en bronze qui est installée à Sérignan / Photo Ange Esposito