L’expulsion de Varian Fry,
l'homme qui a sauvé 2 000 personnes

Il y a 80 ans à Marseille, Vichy met fin aux activités d'un journaliste américain qui a aidé 2 000 personnes à fuir les persécutions des nazis. De retour aux USA, il sera ostracisé...

Varian Fry durant l'hiver 1940 / United States Holocaust Memorial Museum

Varian Fry durant l'hiver 1940 / United States Holocaust Memorial Museum

Varian Fry durant l'hiver 1940 / United States Holocaust Memorial Museum

En 1940 à la signature de l’armistice, Marseille, seul grand port libre, devient l’antichambre de l’exil pour les intellectuels et artistes fuyant le nazisme. Leur espoir, gagner l’Espagne ou le Portugal, puis les États-Unis. Nombre de surréalistes se retrouvent ou se croisent alors dans cette cité-transit. Leurs conditions de vie sont très difficiles, nombre d’entre eux risquent à tout instant d’être arrêtés : d’abord les Allemands que les autorités d’occupation réclament à Vichy, puis les « juifs étrangers » qui pourront être internés dès la mi-octobre…

Contrôles en 1940 sur le Vieux-Port / La Provence

Contrôles en 1940 sur le Vieux-Port / La Provence

Contrôles en 1940 sur le Vieux-Port / La Provence

Varian Fry avant son arrivée à Marseille / Yad Vashem

Varian Fry avant son arrivée à Marseille / Yad Vashem

Varian Fry avant son arrivée à Marseille / Yad Vashem

Afin de leur venir en aide, un organisme du nom d’Emergency Rescue Committee est créé à New York. Il est soutenu par la première dame des États-Unis, Eleanor Roosevelt : elle obtient la délivrance de visas d’entrée à un nombre limité de 200 réfugiés. Pour mener cette mission à bien, on décide de dépêcher sur place le seul volontaire disponible : un journaliste américain, Varian Fry. Il a visité l'Allemagne en 1935 et en a tiré de farouches convictions contre les nazis.

« Le 13 août 1940, Varian se trouve à bord du train qui le conduit à Marseille, après une escale à Lisbonne, raconte Bernadette Costa-Prades, qui a publié La liste de Varian Fry (Albin Michel). Il parcourt la liste des noms finalement retenus par le Comité : les trois quarts étant allemands ou autrichiens, tous déchus de leur nationalité, il songe déjà aux difficultés qui l’attendent ». Dès son arrivée, il s’installe à l’hôtel Splendid et y tient un bureau clandestin. Ses premières démarches ne sont guère fructueuses. Il propose, en vain, ses services à Pablo Picasso et à Henri Matisse, lequel l’interroge : « Si tout ce qui a de la valeur sort de France, que restera-t-il de la France ? ». Il comprend toutefois qu'il y a urgence : jour après jour, l'étau de Vichy se resserre sur les exilés.

Edition du 19 octobre 1940 du journal « Le Petit Marseillais » / La Provence

Edition du 19 octobre 1940 du journal « Le Petit Marseillais » / La Provence

Edition du 19 octobre 1940 du journal « Le Petit Marseillais » / La Provence

La Villa Air-Bel photographiée par Varian Fry / La Provence

La Villa Air-Bel photographiée par Varian Fry / La Provence

La Villa Air-Bel photographiée par Varian Fry / La Provence

Varian Fry parvient toutefois à rassembler une petite équipe : le sociologue Albert Hirschman, Daniel Benedite, la riche Mary Jayne Gold, le caricaturiste Bil Spira qui fabrique des faux papiers, la résistante juive Lisa Fittko… Un système très cloisonné récemment décrit par Diana Pollin dans un passionnant roman historique (« Le Maître du jeu », éditions Sydney Laurent). Le hall de l’hôtel ne tarde pas à être pris d’assaut par les candidats à l’exil. En octobre 1940, Fry demande aux membres de son comité de trouver un lieu excentré pour héberger les réfugiés. Ils prennent le tramway « à l’aventure » et descendent à Air-Bel. C’est là qu’ils rencontrent le docteur Thumin, un original qui leur loue, pour un prix dérisoire, une villa.

André Breton, le pape du surréalisme, sa femme et sa fille, ne tardent pas à s’y cacher. La Villa Air-Bel devient alors, pendant quelques semaines, le lieu de ralliement des artistes persécutés, dont Max Ernst, André Masson… Ils inventent des jeux (dont le tarot de Marseille), organisent des fêtes loufoques, comme rempart à l’angoisse. Des militants politiques sont également hébergés là, tels le révolutionnaire russe Victor Serge (qui rebaptise l'endroit « Château Espère-visa »).

Jacqueline Breton, André Masson, André Breton et Varian Fry à la Villa Air-Bel / La Provence

Jacqueline Breton, André Masson, André Breton et Varian Fry à la Villa Air-Bel / La Provence

Jacqueline Breton, André Masson, André Breton et Varian Fry à la Villa Air-Bel / La Provence

Le diplôme d’honneur décerné par Yad Vashem à Varian Fry / Yad Vashem

Le diplôme d’honneur décerné par Yad Vashem à Varian Fry / Yad Vashem

Le diplôme d’honneur décerné par Yad Vashem à Varian Fry / Yad Vashem

Décembre 1940, le maréchal Pétain est en visite à Marseille. La veille, une descente de police à la Villa fait une dizaine de prisonniers. Malgré le soutien du vice-consul Hiram Bingham, Varian Fry est détenu un temps dans un bateau-prison. « C'est Gaston Defferre, jeune avocat à l'époque, qui devient leur défenseur, intervenant notamment au moment de l’arrestation de Daniel Bénédite en mai 1941 », rappelle l'association Varian Fry France. « Rien ne put le dissuader de continuer son action, peut-on lire dans la note que le mémorial Yad Vashem a consacrée à Varian Fry. Malgré l’expiration de son passeport, il poursuivit ses activités de sauvetage, pour un total de 2 000 personnes. Il fut finalement arrêté par la police et escorté jusqu’à la frontière espagnole le 16 septembre 1941 ». De retour aux USA, Varian Fry sera placé sous surveillance par le FBI : on ne lui pardonne pas les libertés qu'il a pris avec les instructions, les conférences qu'il donne pour alerter sur la situation en Europe indisposent. Après guerre, il devint professeur de latin et mourut en 1967, dans l’anonymat. Il ne reçut qu'un signe de reconnaissance de son vivant, la France l'ayant fait Chevalier de la Légion d'honneur peu de temps avant sa mort. En 1991, le Conseil américain du mémorial de la Shoah lui attribua la médaille Eisenhower de la Libération. Enfin, en 1995, Varian Fry est devenu le premier Américain à être reconnu comme Juste parmi les nations au mémorial de Yad Vashem.


File d'attente en 1940 devant le consulat américain, 6 place Félix Baret / La Provence

File d'attente en 1940 devant le consulat américain, 6 place Félix Baret / La Provence

File d'attente en 1940 devant le consulat américain, 6 place Félix Baret / La Provence

Lisa Fittko, chargée par Varian Fry de créer une filière vers l'Espagne / La Provence

Lisa Fittko, chargée par Varian Fry de créer une filière vers l'Espagne / La Provence

Lisa Fittko, chargée par Varian Fry de créer une filière vers l'Espagne / La Provence

Inauguration d'une plaque à la mémoire de Varian Fry, en 2004 à Marseille / Photo Serge Guéroult

Inauguration d'une plaque à la mémoire de Varian Fry, en 2004 à Marseille / Photo Serge Guéroult

Inauguration d'une plaque à la mémoire de Varian Fry, en 2004 à Marseille / Photo Serge Guéroult

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File d'attente en 1940 devant le consulat américain, 6 place Félix Baret / La Provence

File d'attente en 1940 devant le consulat américain, 6 place Félix Baret / La Provence

File d'attente en 1940 devant le consulat américain, 6 place Félix Baret / La Provence

Lisa Fittko, chargée par Varian Fry de créer une filière vers l'Espagne / La Provence

Lisa Fittko, chargée par Varian Fry de créer une filière vers l'Espagne / La Provence

Lisa Fittko, chargée par Varian Fry de créer une filière vers l'Espagne / La Provence

Inauguration d'une plaque à la mémoire de Varian Fry, en 2004 à Marseille / Photo Serge Guéroult

Inauguration d'une plaque à la mémoire de Varian Fry, en 2004 à Marseille / Photo Serge Guéroult

Inauguration d'une plaque à la mémoire de Varian Fry, en 2004 à Marseille / Photo Serge Guéroult

Sudorama / Institut National de l'Audiovisuel. Durée : 8:59

Sudorama / Institut National de l'Audiovisuel. Durée : 8:59

Sudorama / Institut National de l'Audiovisuel. Durée : 8:59

Sudorama / Institut National de l'Audiovisuel. Durée : 8:59