Manon des Sources, la belle sauvage de Pagnol
HISTOIRE / En 1952, le cinéaste offre à sa femme Jacqueline un rôle magique. Il en tire par la suite "L’Eau des collines", beau roman sur la soif et la vie
Une preuve d’amour… C’est ainsi que Marcel Pagnol présente le rôle de Manon des Sources quand sort en 1952 le film du même nom. Ce cadeau, il l’a offert à sa femme Jacqueline. Si celle qui sera la mère de deux de ses enfants, Frédéric et Estelle, tourne au total dans cinq films du cinéaste, elle n’a jamais été si belle et si fragile, si déterminée aussi que dans ce drame paysan, où chaque scène exprime le prix de la soif, où la quête de la vie pousse aux pires tourments.
Née le 6 octobre 1920 à Malakoff, Jacqueline Bouvier était originaire du Gard. "Avant la guerre, elle suit les cours de l’école dramatique de Charles Dullin et rencontre une première fois Marcel Pagnol à Paris, en 1938, alors qu’il cherche de jeunes acteurs pour un projet de film sur sa jeunesse, rappelait à sa mort en 2016 un de ses biographes, Philippe-Jean Catinchi. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle écrit des poèmes et publie, en 1942, Histoires des petits hommes et des grandes bêtes dans les Cahiers de l’École de Rochefort, tout en jouant de petits rôles dans différents films".
En 1944, Marcel Pagnol la recontacte pour le rôle-titre de Naïs, adaptation de la nouvelle Naïs Micoulin de Zola, tourné à l’été 1945. Quelques mois plus tard, ils se marient à Malakoff. Outre des rôles au théâtre (notamment Hamlet mis en scène par Jean-Louis Barrault en 1946), d’autres films suivent, La Belle Meunière de Marcel Pagnol et Max de Rieux en 1948, Le Rosier de Madame Husson de Jean Boyer en 1950, Topaze de Marcel Pagnol en 1951 et Adhémar ou le jouet de la fatalité de Fernandel la même année.
Arrive 1952 et face à l’incroyable Rellys, "le" rôle", celui de la bergère sauvageonne des collines provençales, qui se venge de ceux qu’elle juge responsables de la mort de son père. Présenté comme un film unique, Manon des Sources comprenait en fait deux parties, sa longueur de près de 4 heures rendant sa projection impossible sur une seule séance.
Il faut dire que richissime, Pagnol faisait à l’époque comme bon lui semblait, ce que confirme une anecdote rapportée par l’acteur Raymond Pellegrin : il raconte qu’il faisait si chaud sur le tournage et que les cigales chantaient si fort que Marcel Pagnol devait sans cesse arrêter le tournage à cause du vacarme. "On travaillera demain", lançait-il. Le régisseur lui répliquait : "Tu vas nous faire perdre un million". "Le million, rétorquait Pagnol, il est à moi !".
La carrière de Jacqueline Pagnol n’ira guère au-delà, elle ne tournera que dans deux autres films (en 1953, Carnaval d’Henri Verneuil ; en 1956, La Terreur des dames de Jean Boyer). Elle se consacrera ensuite à sa famille, puis à faire vivre l'oeuvre de son mari après sa mort. Sa prestation dans Manon des Sources n’en reste pas moins éternelle et a beaucoup contribué à rendre ce film universel (il est par exemple toujours projeté au Japon), d’autant que ses thèmes font toujours écho chez nous, l’avidité, la terre nourricière, la colère de la jeunesse, etc.
En 1963, Marcel Pagnol reprendra le scénario pour en faire un diptyque romanesque, L’Eau des collines. Par rapport au film apparaissait l’histoire du père de Manon, qui se déroule pendant l’enfance de celle-ci. C’est cette version que Claude Berri portera à l’écran dans les années 1980. Le rôle de Manon revenait cette fois à la toute jeune Emmanuelle Béart, récompensée en 1987 par un César de la meilleure actrice dans un second rôle.