Marseille-Fos, Macron réveille les fantômes du nucléaire
En lançant l'idée de mini-réacteurs sur le Grand Port Maritime, le président de la République ne fait que reprendre un projet qui remonte aux années 1970 : construire une centrale à Ponteau, près de Martigues. A l'époque, le refus des élus communistes et de la population avait fait reculer le gouvernement.
Construire à l’horizon « 2035-2050 » un ou plusieurs mini-réacteurs nucléaires sur le territoire du Grand Port de Marseille, qui court de la cité phocéenne à la Camargue en passant par la Côte Bleue et l'étang de Berre... Aux dernières heures de sa venue à Marseille, Emmanuel Macron a jeté un pavé dans la Méditerranée, en glissant une surprise du chef dans un discours prononcé à la gare maritime de la Joliette : « Ce n’est pas une question affreuse du tout, c’est un terrain qui a une vocation en la matière. On a un sujet de refroidissement des centrales et les centrales à venir auront vocation à être beaucoup plus près de la mer. Dunkerque est un succès aujourd’hui, on y met des batteries électriques parce qu’on a décidé deux EPR à Gravelines ». Et le président de la République, après avoir manié la carotte, de mimer la concertation : « Il est nécessaire de se poser cette question sans tabou car elle est là, il faut regarder si l’ensemble du bassin économique est prêt à accueillir des tranches et des centrales ».
Sauf que 12 ans après le séisme et le tsunami qui ont provoqué la catastrophe nucléaire de Fukushima au Japon, les centrales en bord de mer provoquent toujours des angoisses en France. Qui dans notre région sont beaucoup plus anciennes, puisque Emmanuel Macron ne fait que réveiller un projet vieux de 50 ans : en effet, beaucoup l'ont oublié depuis mais l’État prévoyait dans les années 1970 de construire une centrale nucléaire à la pointe de la Côte Bleue. Il est alors question de développer une nouvelle technique, les réacteurs de type uranium naturel graphite gaz mis en service quelques années plus tôt étant dépassés. Il semble que le site de Ponteau figurait déjà sur les tablettes, afin d'alimenter le complexe de Fos : un centre de production thermique au fioul venait tout juste d’y être construit par EDF et aurait pu être couplé avec une centrale nucléaire. Lors de l’inauguration du site, en juin 1972, André Bettencourt, ministre chargé du Plan et de l’Aménagement du territoire, ne dément pas cette option: « Les sites en bordure de mer sont de plus en plus recherchés à cause du potentiel de réfrigération qu’ils offrent. La limitation de l’échauffement des rivières imposera, en effet, des contraintes de plus en plus strictes et onéreuses ».
Les choses s’accélèrent avec le choc pétrolier de 1973 : le Premier ministre Pierre Messmer décide le développement massif de l’industrie nucléaire en France, une énergie considérée comme bon marché. « Pour le gouvernement, une grande politique énergétique doit être basée sur trois axes : les économies d’énergies, la question des transports et l’indépendance énergétique, détaille l'historien Jean Domenichino. Coût total de ce plan, 13 milliards de francs. Le pari est d’importance : assurer l’approvisionnement national par un programme nucléaire à grande échelle que Pierre Messmer présente en mars 1974 ». En novembre 1974, une liste de 38 sites est établie par le gouvernement, que dirige désormais Jacques Chirac après la mort de Georges Pompidou et l'élection de Valéry Giscard d'Estaing. Martigues-Ponteau y figure. Dans son édition du 4 décembre, Le Provençal rend compte de la nouvelle : « Sur les 38 sites proposés pour les prochaines implantations, Martigues est le seul retenu pour l’ensemble de la région Paca et cela d’ici 1988 ».
Maire PCF de Martigues à l’époque, Paul Lombard nous avait raconté l’épisode voici une dizaine d'années : « Nous n’avons pas été consultés officiellement, on l’a appris par la bande. Ponteau les intéressait parce que les rochers étaient très solides contre les tremblements de terre. La proximité de la mer permettait également le refroidissement et le rejet des eaux usées ». Dubitatif, l’élu décide alors de se renseigner : « J’ai demandé à rencontrer des ingénieurs EDF membres du Parti communiste. Ils m’ont dit que c’étaient des nouvelles technologies, qu’il fallait être très prudent ». Paul Lombard se rend également le long du Rhône, pour rencontrer des maires dont les communes figuraient sur la liste : « À ma grande surprise, ils m’ont expliqué que tout était déjà bouclé, bien qu’ils ne disposent que de très peu d’informations. EDF avait déjà acheté les terrains pour un bon prix ». Le maire de Martigues décide alors de faire voter par son conseil municipal une délibération contre le projet de centrale nucléaire. Les élus de Port-de-Bouc font de même. Plusieurs rassemblements sont organisés avec des habitants hostiles au projet, des syndicalistes se mobilisent également. « Est-ce que c’est ça qui a bloqué le projet ?, s’interrogeait Paul Lombard. Je n’en sais rien. Ce qui est sûr, c’est qu’on n’en a plus entendu parler. Sans doute l’État avait-il envoyé le bouchon pour voir si on résistait ».
Le nucléaire remisé dans les tiroirs, Martigues-Ponteau connaîtra donc une longue carrière avec ses quatre unités au fioul. « Martigues a beaucoup tourné de 1971 à 1982, expliquait voici quelques années son ancien directeur, Dominique Point. Les dix années suivantes, elle a peu tourné, c'est pourquoi en 1985, on a décidé la fermeture de la quatrième tranche de production. Il a même été envisagé un moment de fermer la troisième tranche. Mais dans les années 1990, les travaux des centrales nucléaires durant plus que prévu, il y a alors eu une reprise du thermique, du fuel et du charbon ». En 2012, la centrale et ses salariés ont basculé vers le gaz naturel. Sans se douter que l'option nucléaire pourrait redevenir d'actualité aux portes de Marseille, portée par un Président élu sur la promesse de tourner la page de « l'ancien monde »... et d'ores et déjà contestée par les héritiers du refus des années 1970.