Montricher, le Suisse qui a donné l’eau à Marseille
HISTOIRE / En 1849, grâce à ses travaux, Longchamp reçoit l’eau de la Durance. Un chantier titanesque avec la construction de l’aqueduc de Roquefavour

En 1834, une sécheresse d’une rare intensité frappe Marseille et ses habitants. La terre se craquelle, des enfants et des vieillards succombent, incapables de résister à la déshydratation. Toute la population souffre de la soif. Les sources et les fontaines sont taries, il n’y a plus qu’une solution: boire l’eau des cours d’eau, le Jarret et l’Huveaune. Ils ne sont toutefois guère propres et un nouveau fléau survient, le choléra. Avec son conseil municipal, le maire Maximin Consolat décide "quoi qu’il advienne et quoi qu’il en coûte" la construction d’un canal qui mènerait les eaux de la Durance à Marseille. Plusieurs candidats sont sur les rangs, dont François Zola. Surprise, le chantier est confié à un jeune ingénieur, Franz Mayor de Montricher. D’origine suisse, c’est lui qui aura la délicate mission d’assurer l’approvisionnement en eau potable de la cité phocéenne.

Epidémie de choléra à Marseille vue par Honoré Daumier / Europeana
Epidémie de choléra à Marseille vue par Honoré Daumier / Europeana

Portrait de Franz Mayor de Montricher / Archives départementales des Bouches-du-Rhône
Portrait de Franz Mayor de Montricher / Archives départementales des Bouches-du-Rhône
Né en 1810 à Lully, dans le canton de Vaud, Franz Mayor de Montricher rejoint à l’âge de 13 ans son père négociant installé à Marseille. Il effectue ses études secondaires au lycée de Marseille, l’actuel lycée Thiers. En 1827, il entre à Polytechnique, puis choisit l’École des ponts et chaussées dont il sort major. Attaché pendant un an au département de la Loire, il est nommé dans l’arrondissement de Die en 1833. Avec l’ingénieur en chef, De Kermaingant, il travaille sur le projet de la ligne de chemin de fer Marseille-Avignon. La collaboration est si fructueuse que chargé de l’étude du futur canal de Marseille, De Kermaingant qui se sent trop âgé cède sa place à Montricher.
Le chantier est titanesque, il va durer 15 ans, de 1839 à 1854. D’une longueur de 80 kilomètres dont 17 en souterrains, il ne compte pas moins de 18 ponts-aqueducs importants. La prise d'eau initiale était située sur la Durance au niveau du pont de Pertuis. Non loin de là, à La Roque d'Anthéron, on trouve le bassin de Saint-Christophe. Puis le canal bifurque vers le sud et passe en un long tunnel sous l'extrémité ouest de la chaîne des Côtes. Après Lambesc, ponts et tunnels sont nécessaires pour traverser les vallons et les collines, contourner la colline de Ventabren, arriver jusqu'à l'Arc que franchit l'aqueduc de Roquefavour à proximité d’Aix : 83 mètres de haut, 375 de long, des fondations affichant une profondeur de 6 à 10 mètres, trois rangs d’arcade. Quelque 5 000 ouvriers dont 300 tailleurs de pierre sont mobilisés, 3 800 000 francs sont dépensés pour cet ouvrage.

Le bassin de rétention de Saint-Christophe à La Roque d’Anthéron / Archives départementales des Bouches-du-Rhône
Le bassin de rétention de Saint-Christophe à La Roque d’Anthéron / Archives départementales des Bouches-du-Rhône

Réfugié en France, William Fraisse sera le bras droit de Montricher / Europeana
Réfugié en France, William Fraisse sera le bras droit de Montricher / Europeana
Toujours considéré comme le plus haut aqueduc en pierre du monde, Roquefavour est supervisé par William Fraisse : réfugié en France pour des raisons politiques, cet ingénieur né à Lausanne s’avère un secours précieux pour Montricher. Il habite alors à Marseille, puis vers 1848, il s'établit à Avignon et dirige de 1848 à 1853 l'entreprise du canal de Crillon. De retour en Suisse, il prendra la direction de la Compagnie de l'Ouest-Suisse qui prolonge la ligne ferroviaire Morges-Yverdon. En 1862, il devient inspecteur fédéral de la correction du Rhin, siège au Conseil communal lausannois dès 1866, mène des études pour que le niveau du lac de Neuchâtel soit abaissé de 2 mètres, celui du lac de Morat de 1,80 mètre et celui du lac de Bienne de 2,40 mètres. 18 000 hectares deviennent alors cultivables et une région entière est désormais à l'abri des inondations.
Le 8 juillet 1847, les premières eaux de la Durance arrivent à Marseille par le souterrain de Notre-Dame. Elles débouchent sur le plateau Longchamp le 29 novembre 1849. L’équipe de Montricher est toutefois loin d’en avoir terminé, ce que dès 1839 le duc d’Orléans avait exprimé en posant la première pierre d’un des ouvrages. Conscient de l’ampleur de la tâche, il dit dans son discours : "Poser la première pierre n’est pas malaisé ; c’est la dernière qui est difficile". C'est ainsi qu'il faudra attendre 1869 pour que soit enfin inauguré le pavillon-château d'eau central du Palais Lonchamp, érigé sur des plans d'Henri-Jacques Espérandieu.

Le pavillon-château d'eau central du Palais Lonchamp, érigé sur des plans d'Espérandieu / Photo Richard Colinet
Le pavillon-château d'eau central du Palais Lonchamp, érigé sur des plans d'Espérandieu / Photo Richard Colinet

Percement de la route de la Corniche avec le viaduc des Auffes / Archives départementales des Bouches-du-Rhône
Percement de la route de la Corniche avec le viaduc des Auffes / Archives départementales des Bouches-du-Rhône
En 1857, Franz Mayor de Montricher est intégré au service municipal de Marseille. À ce titre, il participe à de nombreux autres projets tels l’assainissement de la ville, le plan de développement des ports, la construction de la Corniche, etc. Dès 1858, il est hélas emporté par la fièvre typhoïde, attrapée en Italie où il participait à l'assèchement du Lac Fucin à la demande du prince Torlonia. La contribution des Montricher à la modernisation de Marseille ne s’arrête toutefois pas là : son fils Henri contribuera ainsi à la mécanisation de la collecte des déchets.