Notre guide de la coupe du monde

La 22e coupe du monde de l'histoire démarre ce dimanche au Qatar. La France tentera de conserver son titre
dans une édition inédite, avec son lot de polémiques.

Une coupe du monde pas comme les autres

Le football de clubs est en pause et les stars se sont envolées vers le Qatar. Dimanche débute le premier Mondial de football dans le monde arabe, le premier aussi à susciter autant de critiques, sur l'environnement ou les droits humains. Organisé à l'automne pour éviter les chaleurs insupportables, le Mondial 2022 s'ouvrira par un Qatar-Equateur inédit dans le stade d'Al Bayt, à une quarantaine de kilomètres au nord de la capitale.

Le pays-hôte, à la faible tradition footballistique, en saura plus sur ses chances de passer la phase de poules d'une compétition que le tenant du titre, la France, entamera contre l'Australie le 22 novembre.

Beaucoup ont encore joué le week-end dernier, à l'instar des stars du Paris-SG, le Brésilien Neymar, le Français Kylian Mbappé ou l'Argentin Leo Messi, qui a été acclamé lundi par des milliers de personnes lors d'un entraînement public de sa sélection à Abou Dhabi, dans l'émirat voisin du Qatar.

Ces têtes d'affiche du football mondial seront bien là. En revanche les champions du monde français sont privés de leurs milieux Paul Pogba et N'Golo Kanté. D'autres grands noms sont retenus sans savoir s'ils tiendront leur rang, diminués par des blessures, comme Sadio Mané (Sénégal), Son Heung-min (Corée du Sud) ou Romelu Lukaku (Belgique). Et pour son ultime Mondial, Cristiano Ronaldo, qui vit un chemin de croix avec Manchester United, sera également attendu.

Investissements pharaoniques

Des débuts sans loupés d'organisation seraient une première victoire pour le petit émirat gazier du Golfe, qui a dû affronter de nombreuses critiques depuis qu'à la surprise générale, la Fifa l'a préféré aux Etats-Unis en décembre 2010. Ce choix a nécessité des investissements hors-normes, évalués par certaines sources autour de 200 milliards d'euros.

Après les accusations de corruption, vinrent les attaques sur l'impact environnemental de cet événement. Mais c'est surtout la construction des stades de 40 à 80 000 places (sept construits entièrement, un huitième entièrement rénové) qui pèsera, selon les ONG qui ne croient pas à l'objectif affiché de neutralité carbone.

"Des milliers de morts sur les chantiers"

Dans la dernière ligne droite, les attaques les plus virulentes, venues principalement d'Europe occidentale, ont porté sur les droits humains au Qatar. Le sort des travailleurs migrants, rouages essentiels d'un pays où les Qataris ne représentent que 10% des trois millions d'habitants, a été pointé du doigt, certaines ONG avançant le chiffre de milliers de morts sur les chantiers, bilan que Doha dément avec vigueur.

Autorités qataries et Fifa insistent sur les progrès sociaux en un temps record, avec l'instauration d'un salaire minimum (environ 270 euros mensuels), de sanctions contre les employeurs qui ne le versaient pas, et un démantèlement du système de parrainage qui obligeait tout salarié étranger à obtenir l'autorisation de son employeur pour démissionner.

A plusieurs reprises, Amnesty International et Human Rights Watch ont exhorté la Fifa à verser une compensation financière aux travailleurs qui ont construit les stades.

La Fifa ne veut pas de "leçons de morale"

Le traitement des personnes LGBTQ+ est un autre sujet d'inquiétude dans un pays conservateur où homosexualité et relations sexuelles hors mariage sont criminalisées, même si les autorités ont assuré qu'elles seraient accueillies sans discrimination.

Le président de la Fifa Gianni Infantino a intimé aux 32 sélections de ne plus "donner de leçons de morale", après l'annonce de certaines sélections de porter des messages politiques. "Je peux être d'accord ou pas avec leurs idées mais je dois montrer du respect" au Qatar, a pour sa part déclaré lundi le capitaine des Bleus Hugo Lloris, interrogé au sujet du brassard inclusif en soutien aux LGBTQ+.

Stades, calendriers... Toutes les informations pratiques

Les huit stades de la compétition

Lusail, stade Lusail (80 000 places)

Situé dans une ville spécialement créée pour l'événement, ce stade accueillera la finale de la compétition. Il a été officiellement inauguré début septembre lors de la Lusail Super Cup entre les clubs champions d'Arabie saoudite et d'Égypte, Al Hilal et Zamalek.

Doha, stade international Khalifa (40 000 places)

Seul stade du pays construit bien avant l'attribution du Mondial, l'enceinte datant de 1976 a été rénovée en 2017. Il est désormais surmonté de deux arches qui lui donne un allure beaucoup plus moderne. Il a déjà accueilli de nombreuses compétitions, notamment les Jeux asiatiques, cinq matches du Mondial des clubs 2019 dont la finale, et la Coupe d'Asie.

Al-Khor, stade Al-Bayt (60 000 places)

Édifié à une cinquantaine de kilomètres au nord de Doha, ce stade difficile d'accès pour les supporters (seulement par bus ou par taxi) a été construit en forme de tente de bédouins. Le match d'ouverture, le 20 novembre, y opposera le pays hôte à l'Équateur.

Al-Wakrah, stade Al-Janoub (40 000 places)

L'architecture de ce stade est inspirée des coques de bateaux de pêche perlière longtemps présents sur les côtes de la péninsule arabique. L'enceinte a été inaugurée lors de la victoire d'Al-Duhail contre Al-Sadd en finale de la Coupe de l'Émir en 2019.

Doha, stade Education City (40 000 places)

La silhouette de cette enceinte très facile d'accès reprend la forme d'un diamant. Sa capacité sera divisée par deux après le tournoi, comme celle de nombreux stades.

Al Rayyan, stade Ahmed Ben Ali (40 000 places)

Une ligne de métro a été spécialement créée pour relier Doha à ce stade situé dans l'une des zones les plus historiques du pays, non loin du désert.

Doha, stade Al-Thumama (40 000 places)

Son design s'inspire de la "taqiyah", couvre-chef traditionnel des hommes dans la région. À l'issue de la compétition, le stade devrait accueillir une clinique du sport et un hôtel.

Doha, stade 974 (40 000 places)

Cette enceinte a été fabriquée à partir de conteneurs et autres matériaux réutilisés. Elle sera totalement démantelée après le tournoi.

L'Equipe de France peut-elle garder son titre ?

Les Bleus diminués et sans repères

Didier Deschamps et sa bande conservent leur statut de favori, malgré la kyrielle de forfaits

Membres du club des favoris, selon nombre d'observateurs et concurrents, les champions du monde français et leurs stars offensives abordent néanmoins le Mondial 2022 sans repères ni certitudes, minés par les blessés... De quoi redéfinir leur statut avant d'entrer en lice mardi contre l'Australie ?

Paul Pogba et N'Golo Kanté absents de longue date, Presnel Kimpembe forfait de dernière minute comme Christopher Nkunku et même le Ballon d'Or Karim Benzema : ces dernières semaines, la malédiction des blessures s'est abattue sur les Bleus, qui ont pris mercredi leurs quartiers à Doha. Cette situation redessine totalement l'effectif, composé d'uniquement 10 champions du monde en titre, aucun au milieu de terrain. Et la liste définitive présente une équipe rajeunie et en partie inexpérimentée au niveau internationale, avec 12 joueurs comptant chacun moins de 10 sélections.

"Le doublé reste possible"

L'absence de préparation en amont de la compétition n'arrange pas les affaires des jeunes pousses, contraints de s'adapter rapidement. "Il y a de jeunes joueurs qui émergent, s'ils sont là c'est parce qu'ils le méritent. Nul doute qu'ils seront prêts à répondre aux exigences, assure le capitaine Hugo Lloris. Ils se connaissent tous très bien." Les Bleus vont ainsi beaucoup compter au Qatar sur Aurélien Tchouaméni (22 ans) au milieu de terrain, tandis que Dayot Upamecano (24 ans) et Ibrahima Konaté (23 ans) ont été désignés comme des titulaires potentiels en défense.

L'infirmerie n'est pas le seul motif d'inquiétude pour les champions du monde. Depuis l'Euro, à l'été 2021, avec une élimination dès les 8es de finale, ils n'ont pas trouvé la bonne formule, avec des rassemblements en dents de scie et des revirements tactiques. Le sélectionneur Didier Deschamps a tenté, jusqu'au mois de septembre, de mettre sur pied une défense à cinq avec des latéraux très offensifs, censés donner à son trio d'attaque (Griezmann, Giroud, Mbappé) une meilleure proximité. Mais malgré une victoire probante en Ligue des nations en octobre 2021, les Bleus se sont rarement montrés rassurants. "On a été en difficulté, très souvent en déséquilibre", a remarqué Deschamps, promettant un retour à une défense à quatre au Qatar, où ils débarquent après une série inquiétante d'une seule victoire en six matches, ponctuée d'une déroute 2-0 en septembre au Danemark.

L'histoire récente peut faire peur aux Bleus : les trois précédents champions en titre ont tous chuté au premier tour du Mondial suivant, que ce soit l'Italie en 2010, l'Espagne en 2014 et l'Allemagne en 2018. "Ce n'est pas ça qui va me saper le moral, bien au contraire", a asséné Deschamps. "Gagner c'est très difficile, continuer de gagner ça l'est encore plus", a appuyé le capitaine des champions du monde 1998.

De l'eau coule sous les ponts en quatre ans, les joueurs changent mais pas le statut, qui fait des tenants du titre une cible à abattre. "Depuis ce sacre en Russie, on sent des adversaires encore plus motivés à l'idée d'affronter les champions du monde", a remarqué Lloris. Commencer le tournoi avec l'étoile de 2018 n'offre donc aucune garantie, bien au contraire. "En entrant sur le terrain et en montrant uniquement notre maillot, on ne va pas gagner des matches", résume le défenseur Lucas Hernandez. "Mais le doublé reste possible", dit-il.

Les planètes ne sont pas alignées pour les Bleus, mais leur effectif comprend encore une kyrielle de stars capable d'aller décrocher la lune. De Lionel Messi à Erling Haaland, de nombreuses figures du football placent la France sur le podium des favoris à la victoire finale, le 18 décembre à Doha, souvent en compagnie du Brésil ou de l'Argentine. La ligne d'attaque donne des frissons avec le phénomène Kylian Mbappé, l'indéboulonnable Antoine Griezmann, les jokers de luxe Ousmane Dembélé et Kingsley Coman, ou encore l'éternel Olivier Giroud.

Les Bleus ne manquent pas d'étincelles, à eux de maintenir la mèche allumée le plus longtemps possible.

Jordan Vérétout : "Si on m'avait dit ça il y a un mois..."

Avec Mattéo Guendouzi, le milieu représentera l'OM lors de la coupe du monde au Qatar. Le résultat d'une montée en puissance au cours des dernières semaines et un rêve pour l'ex-Nantais

Il a traversé les tempêtes du début de saison sans jamais lâcher la barre ni dévier du cap qu’il s’était fixé. La persévérance de Jordan Vérétout a fini par payer : le milieu de terrain de l’OM (29 ans) a touché la terre promise. C’était mercredi soir, aux alentours de 20h25. Après une interminable journée passée à patienter en compagnie de son clan, il a entendu Didier Deschamps prononcer son nom parmi la liste des 25 chanceux appelés à défendre la couronne de l’équipe de France lors de la coupe du monde au Qatar (20 novembre-18 décembre). Les forfaits de Paul Pogba (avec qui il a été champion du monde U20 en 2013) et N’Golo Kanté ont libéré des places dans l’entrejeu. Et l’ancien Nantais a su mettre le pied dans la porte avant de s’engouffrer dans la brèche. Du haut de ses 5 sélections (85 minutes de jeu en bleu), il n’avait pas vraiment la faveur des pronostics. Mais il a su les dribbler, grâce à des performances solides avec le maillot de l’OM sur le dos. Suffisamment pour que son rêve devienne réalité. Hier, quelques instants après l’entraînement programmé au centre Robert Louis-Dreyfus, Vérétout ("avec deux accents, mais je ne l’ai jamais fait mettre sur les maillots", précise-t-il avec pudeur), il nous a confié son bonheur simple. Tout sourire, mais sans en rajouter des tonnes. Simplement fier du parcours accompli pour assouvir ses ambitions qui vont prendre un peu plus d’épaisseur dans les jours prochains.

Les heures avant la liste : "Tu as ce stress..."

"La journée a été longue. Avec ma famille, on a attendu le journal de 20 heures sur le canapé. C'est la première fois que le JT dure aussi longtemps (sourire) ! Mais c'était un bon moment à vivre avec ma femme, mes enfants et mes parents. Avant l'annonce, j'ai patienté, joué avec les enfants. J'ai essayé de faire passer le temps... mais il était vraiment long ! J'ai également regardé les informations sur le téléphone ou à la télé. Tant que le sélectionneur n'a pas dit ton nom, tu ne sais pas si tu y vas... Tu as ce stress, cette appréhension."

L'annonce : "Quand mon nom apparaît enfin..."

"Quand mon nom apparaît enfin, c'est le soulagement, mais également beaucoup de fierté. Je garde beaucoup mes émotions pour moi, mais là, je les ai partagées avec toute ma famille. Tout le monde est heureux : ma femme, mes enfants. C'est un beau moment à vivre. C'est le top 1 des joies dans ma carrière. J'ai vécu de belles émotions depuis que je joue au football. Mais une coupe du monde, c'est un rêve de gosse. Avec mes proches, on s'est pris dans les bras. Ils font partie de ma vie. Si j'en suis là aujourd'hui, c'est en grande partie grâce à eux. De belles émotions, vraiment (il insiste)."

Son pronostic : "J'y ai toujours cru"

"Je n'avais pas d'indice sur les intentions du sélectionneur. Je suivais un peu les réseaux sociaux, même si ce n'est pas trop mon truc. Si vous m'aviez dit que je serais sélectionné pour la coupe du monde il y a trois semaines-un mois, je vous aurais répondu non. Plus les jours passaient, plus je croyais en mes chances. Même si, au fond de moi, j'y ai toujours cru. J'ai toujours dit que je donnerais tout pour, pourquoi pas, être sélectionné pour la coupe du monde.

Au cours du dernier mois, je n'ai rien lâché, j'ai tout donné. Je suis appelé en grande partie grâce à mes performances accomplies lors du dernier mois. Je suis très heureux et très content de faire partie de la liste. Mais si je n'avais pas été sélectionné, j'aurais continué à travailler pour poursuivre ma progression. (Hier), quand je suis arrivé à l'entraînement, tous les gars m'ont félicité. Je les remercie, c'était une bonne ambiance."

Sa montée en puissance : "Dans l'une de mes meilleures périodes"

"Sincèrement, j'ai toujours réalisé des matches corrects avec l'OM. Mais pour aller en équipe de France, ça ne suffit pas. Sur les trois dernières semaines, je suis monté en puissance, j'ai élevé mon niveau de performance. Ça a compté au moment du choix final. Lors des années en Italie, j'ai aussi montré ce que je pouvais faire. À mon retour en France, à Marseille, j'ai connu des débuts un peu plus compliqués.

Mon niveau de jeu s'élève désormais de match en match. Je suis dans l'une de mes meilleures périodes. Je dois continuer sur ma lancée et ne rien lâcher. J'ai démontré par le passé et je montre de nouveau en ce moment."

Son statut en bleu : "Que tu sois le 1er ou le 3e choix..."

"Être en équipe de France est magnifique, quelles que soient les circonstances, que l'on soit premier choix, deuxième, voire troisième choix. Représenter son pays, c'est magnifique. C'est une grande fierté, beaucoup de plaisir, aussi. Je n'ai pas joué lors du rassemblement de septembre (il avait remplacé Boubacar Kamara, forfait, lequel avait déjà suppléé la blessure d'Adrien Rabiot, ndlr), mais je me suis dit que je devais tout donner pour revenir la prochaine fois."

Fabrice Lamperti

Les adversaires des Bleus

L'Australie

Comme en 2018, la France affrontera les Socceroos. Ils disputent leur cinquième coupe du monde consécutive mais n'ont plus passé la phase de poule depuis 2006 et leur génération "dorée" emmenée par Tim Cahill.

Coupe du monde : 7e participation. Meilleur résultat : huitième de finale en 2006
Classement Fifa : 39e
Sélectionneur : Graham Arnold
Joueurs vedette : Matthew Ryan, Garang Kuol
Qualification : l'Australie a battu le Pérou (0-0, 6-5 à l'issue des tirs au but) en barrage

Le Danemark

Révélés au grand public lors de l'Euro, les Rød-Hvide ont passé un cap. Les Bleus qu'ils retrouveront le 26 novembre en ont déjà fait les frais deux fois cette année en Ligue des nations. Si bien que certains attribuent même à cette belle génération un statut d'outsider.

Coupe du monde : 5e participation. Meilleur résultat : quart de finale en 1998
Classement Fifa : 10e
Sélectionneur : Kasper Hjulmand (depuis juillet 2020)
Joueurs vedettes : Christian Eriksen, Kasper Schmeichel, Simon Kjaer
Qualification : le Danemark a terminé en tête du groupe F des éliminatoires de la zone Europe
Onze-type : Schmeichel - Kjaer (cap), J. Andersen, A. Christensen - Wass, Hojbjerg, Delaney, Maehle - Skov Olsen, Eriksen - Dolberg

La Tunisie

Privés de coupe du monde depuis 2006, les Aigles de Carthage y ont fait leur retour en Russie et confirment au Qatar. Attendus de pied ferme après une Can décevante, ils héritent cependant d'un groupe difficile pour espérer passer le premier tour.

Coupe du monde : 6e participation. Meilleur résultat: premier tour
Classement Fifa : 30e
Sélectionneur : Jalel Kadri
Joueur vedette : Wahbi Khazri.
Qualification : la Tunisie a battu le Mali (1-0/0-0) en barrages
Onze-type : Ben Saïd - Dräger, Bronn, Talbi, Maaloul - Chaalali, Skhiri, Laidouni - Khazri, Sliti, Msakni

Adil Rami : "Mon histoire est l'une des plus belles du monde"

Champion du monde en 2018, l’ancien joueur de l’OM sera consultant pour TF1 tout au long de cette édition 2022

Champion du monde avec l’équipe de France il y a 4 ans, Adil Rami passe désormais de l’autre côté du poste. Il sera régulièrement présent sur le plateau du "Mag" de TF1 pour débriefer les rencontres du jour. L’ancien Olympien a évoqué avec nous ce nouveau rôle, ses souvenirs avec l’OM ou les Bleus mais aussi la suite de sa carrière de joueur.

Comment vous sentez-vous à la veille de cette nouvelle aventure de consultant ? Comment vous la préparez ?
Je ne la prépare pas ! Je suis impatient, content mais j'appréhende un peu. C’est un nouveau terrain de jeu pour moi et je m’estime chanceux de connaître autre chose. C’est une transition dans la continuité d’une carrière de footballeur.

Vous êtes prêt à critiquer vos ex-coéquipiers ?
J’ai toujours eu un franc-parler, sur le terrain et à côté. Sur TF1, on est là pour donner nos points de vue, partager nos expériences mais également supporter les "Bleus". J’ai apprécié la démarche, je sais que je serai bien entouré, avec de bonnes ondes et beaucoup de bienveillance. Si certains passent à travers, comme cela arrive à tout le monde, on fera la différence entre ça et remettre en cause leur talent.

"Est-ce que je suis le Lionel Messi de TF1 ? On verra !"

Avec votre facilité devant les médias, justement, on a toujours eu l’impression que vous étiez fait pour être consultant. Vous continuerez après la fin de votre carrière ?
Je n’ai pas la réponse aujourd'hui. J’ai parlé deux minutes avec Denis Brogniart, cela m’a suffit. Tout le monde connaît la puissance de la chaîne mais ils veulent que je reste moi-même : spontané et naturel. Tout en conservant mon humour et mon expérience. Je connais le foot, je suis plutôt calé niveau tactique et je peux raconter aux gens le côté émotionnel ou les coulisses. Je sais que je peux être intéressant sur ce terrain-là, mais après c'est tout nouveau... Est-ce que je suis le Lionel Messi de TF1 ? On verra !

Comment allez-vous faire avec Troyes quand la préparation va reprendre ?
Pour le moment je vais faire tous les "Mags" jusqu’à la reprise le 28 ou le 29 novembre. Ensuite, on devra s’adapter car ma priorité c’est le football. Du coup on verra si je peux le faire une ou deux fois par semaine, tout en répondant aux attentes de mon coach sur les aspects physique et mental. Mais il n’y a aucun souci, ils savent que je suis professionnel.

Pourtant vous avez peu joué cette saison, vous avez eu des blessures ?
Je vais rectifier un petit truc. Je n’ai pas été blessé. J’ai eu quelques contractures qui ont durées deux ou trois jours. Si je n’ai pas beaucoup joué c’est seulement sur les choix du coach Bruno Irles (mis à pied avant la trêve ndlr.). Il ne comptait pas sur moi. J’ai accepté mais ça m’a pas plu du tout et je l’ai fait savoir. J’ai besoin d'enchaîner les matches, c’était le cas à 25 ans et encore plus à 37 ! Peut-être que c’était pour éviter les blessures, mais on est pas en Ligue des champions, on joue une fois par semaine. Quand je jouais un match je devais attendre 15 jours pour en faire un autre.

"Ma priorité c’est le football"

Votre contrat se termine en juin, vous vous voyez continuer au-delà ?
Je kiffe, je suis bien, à mon poids de forme et je prends du plaisir ! La seule chose qui me manque aujourd’hui c’est d’être performant. J’attends de voir la seconde partie de saison avec le nouveau coach. Elle me tient vraiment à cœur. Si je vois que j'enchaîne, je veux continuer. Si à un moment donné, mon temps de jeu réduit fortement, je passerai à autre chose. En tout cas, chaque année de plus n'est que du bonus. C’est une fierté d'avoir cette longévité.

Vous avez un superbe parcours, vous êtes passé professionnel sur le tard, avez joué la Ligue des champions, gagné la coupe du monde, quel regard portez-vous sur votre carrière ?
Quand on rencontre des gens et que l’on parle un petit peu de moi, je deviens nostalgique ! Je leur dis : "Je n'ai pas été le meilleur joueur du monde même si j’ai gagné beaucoup de titres. J’ai fait une dizaine de finales contre les meilleurs joueurs du monde de l’époque." Donc je leur dis que je suis fier. Aujourd’hui cela peut paraître chiant de le dire car on a tendance à oublier d'où je viens et ce que j’ai pu faire. Cette humilité me laisse dire que je n’ai pas été le meilleur mais que mon histoire est l’une des plus belles au monde.

"Si la France gagne cette coupe du monde ce sera la plus difficile"

Parlons des Bleus que vous allez commenter. Les voyez-vous garder leur titre ?
J’ai envie de dire que c’est compliqué, si la France gagne cette coupe du monde ce sera la plus difficile. Les mecs vont être surmotivés, tout le monde veut battre le champion du monde en titre, défier Kylian Mbappé. On a l’un des plus gros effectifs mais ce ce sont rarement les meilleurs qui gagnent. Quoiqu’en 2018, tu me diras, on était la meilleure équipe et on a gagné !

Que pensez-vous de la liste de Didier Deschamps ?
Il y avait pas mal d'incertitudes en défense, Alors je pense qu’il a voulu revenir à quelque chose de plus solide. J'aurais aimé voir Jonathan Clauss par exemple, car il peut apporter quelque chose dans tous les compartiments du jeu. Mais les latéraux 2.0 super offensifs et super techniques à l’espagnole, cela n’a jamais été le kiff du sélectionneur. Lui c’est plus basique, “agence tous risques” à la Pavard, solide et discipliné.
Je pense aussi qu’il veut compenser les efforts défensifs que ne feront pas nos attaquants. Offensivement, ils sont très forts, mais défendre n’est pas leur qualité première, comme tous les grands joueurs dans le monde.

Quel système utilisera Deschamps pour mettre ses attaquants dans les meilleures dispositions ?
Probablement un 4-3-3 ou un 4-4-2 modulable plus défensif s’ils ont des latéraux très offensifs. Aujourd’hui on a une attaque extraordinaire, il faudra faire des choix. Dans une coupe du monde, il n’y a pas de statut. Même les plus grands doivent s'adapter et accepter de tourner ou de ne pas jouer.

"Privilégier Giroud contre les blocs bas"

Ce sera le cas d’Olivier Giroud…
Aujourd'hui c’est compliqué car on a Mbappé, Griezmann, Benzema. On jouera contre des blocs bas qui voudront s’adapter à la vitesse de Mbappé, ils ne sont pas cons les mecs. Et on a toujours du mal dans ces cas-là. Et là pour moi on devra privilégier Olivier, l’un des seuls capables de jouer dans la surface pour décrocher, en attirant les défenses adverses. Si j’ai la vitesse de Mbappé, je me sers différemment de Benzema ou de Giroud, qui est un très bon point d’appui. Il faut vraiment en profiter car Kylian va être servi sur sa vitesse, il devra s’appuyer sur des une-deux ou des déviations.

À quel point Paul Pogba et N’Golo Kanté vont manquer aux Bleus ?
Je vais même te rajouter Blaise Matuidi. Ces trois joueurs-là étaient le cœur de cette équipe. Les mecs étaient techniques, ils avaient de la puissance, de l’endurance, de la grinta ! Pogba a mis son côté technique de côté pour se mettre au diapason, Matuidi, qui était habitué à jouer dans l'axe, était prêt à souffrir à gauche pour faire le travail défensif.
Avec ces joueurs-là, tu rajoutes beaucoup d'expériences en équipe de France. Aujourd'hui on n’a pas tout ça, on aura des jeunes joueurs qui eux sont dans une situation de devoir prouver pour être rappelés. Il faut qu’ils arrivent à passer outre la coupe du monde parce que c'est beau, on y perd beaucoup d’énergie. C’est aux cadres de les emmener et leur faire comprendre tout ça : Giroud, Varane, et même Pavard.

Que pensez-vous que Didier Deschamps leur dira à la veille du premier match ?
Il va leur parler de l'importanc de l'évènement, de la nécessité d’être concentré. C’est le discours que l’on avait eu après le premier match contre l’Australie en 2018. Il nous avait dit "Il y a du talent mais ça ne suffit pas". Pour gagner une coupe du monde il faut être prêt à souffrir, pas faire des petits ponts. Si tu perds un ballon mais que tu sais que les mecs derrière toi vont s’arracher pour te couvrir, tu ne crains rien et tu vas retenter la fois d’après et t’amuser. Et là tu peux battre tout le monde.

"J’ai mérité ce titre en 2018, même si je n'ai pas joué"

Quel souvenir gardez-vous de la campagne 2018 ?
J’ai kiffé mon aventure, la coupe du monde je l’ai gagnée en prenant le risque de quitter Séville pour aller à l’OM et faire la saison qu’il fallait. La Russie était juste la récompense de notre magnifique saison. Quand je suis arrivé chez les "bleus", j'étais prêt. Le jour où je devais jouer contre le Danemark, malheureusement j’ai eu un petit pépin au mollet mais ce n’est pas grave. Le plus important, c’était de prendre le bon wagon. Je me suis entraîné tous les jours parce que je me disais "on ne sait jamais s’il fait appel à moi il faut que je sois prêt". Donc j’ai mérité ce titre, j’ai pris les risques qu’il fallait et c'était une forme d'intelligence de ma part.

Vous jouerez l’OM le 11 janvier peu après la reprise, vous les suivez cette saison ?
Je les regarde dès que je peux. Là, j’ai "kiffé" le match à Monaco, même si la blessure d’Amine Harit m’a touché. Avec mes potes on est tous fans de l’OM. Bon, parfois on les insulte mais c’est parce qu’on a envie qu’ils gagnent, qu’on arrive pas à les comprendre (rires) ! Contre Tottenham j’étais dégouté, j’aurais aimé qu’ils aillent en Ligue Europa. Avoir l’humilité de jouer cette compétition et faire vivre des émotions à leurs supporters. Ils auraient pu être un peu plus malins et faire un peu plus attention à ne pas prendre ce dernier but.

"Avec mes potes on est tous fan de l'OM"

Que pensez-vous de l’OM de Tudor ?
Ils sont capables de tout d’un match à l’autre, d’une mi-temps à l’autre. En Ligue des champions, après le but c'était fini, j’ai rien compris…

Comment avez-vous vécu votre départ ? Une procédure est toujours en cours entre vous et l’OM (Il conteste son licenciement pour "faute grave", a été débouté devant les prud'hommes mais a fait appel ndlr.)
Je n’associerai jamais Jacques-Henri Eyraud à l’OM, c’est comme ça. Je déteste cet homme-là depuis très longtemps, je suis content de voir que c’est pareil pour le peuple marseillais. Cette affaire a été pour moi une injustice, c’était mechant. Mon histoire était super facile, je lui avait dit "Si vous n'êtes pas content, on en discute et je pars". C'est à partir de ce moment-là qu' il a tout fait pour me faire du mal. Je trouve que ce n'est pas cool.

Votre ancien coéquipier Dimitri Payet est en difficulté, est-ce qu’il peut revenir ?
Payet est un joueur qui peut porter cette équipe. Mais aujourd' hui, il a besoin d'enchainer pour être bon. Alors oui, il doit se préparer physiquement et athlétiquement, mais il faut le laisser, même s’il n’est pas bon pendant un ou deux matches. Ça doit être la force de l'entraîneur de connaître Payet et de savoir que c’est quand il enchaîne qu’il est le meilleur. Malheureusement avec la blessure d’Harit, Dim doit profiter de ça pour retrouver du temps de jeu. Dim à 100% c’est le moteur de cette équipe de Marseille.



Les autres favoris

Argentine

Toute l'Argentine rêve d'un troisième sacre. Avec ce Lionel Messi là, qui a évolué à très haut niveau avec le PSG depuis le début de la saison et a parfois semblé redevenu celui de ses meilleures années barcelonaises ou presque, tout le pays y croit.
Après la Copa America conquise l'an dernier au Brésil, un trophée que le pays attendait depuis 1993, les Argentins veulent maintenant une troisième coupe du monde après celles de 1978 et 1986, qui mettrait Messi à hauteur de Diego Maradona au sein du panthéon du football.

Brésil

La forme de Neymar et la solidité du Brésil de Tite font rêver la Seleção d'un sixième sacre au Qatar (après 1958, 1962, 1970, 1994 et 2002).
"Cette coupe du monde au Qatar est une excellente occasion de briser la domination européenne, estime l'ancien et dernier capitaine à avoir soulevé le trophée il y a 20 ans, Cafu. C'est le moment parfait pour le Brésil de rompre la malédiction et de remporter le titre. "

Allemagne

L'Allemagne d'Hansi Flick a beau ne pas avoir de résultats ces derniers mois, elle a forcément l'allure d'une favorite.
De par son palmarès : quatre titres, quatre finales, quatre demi-finales. Mais aussi son effectif, avec des cadres comme Müller, Neuer, Kimmich ou Gnabry, épaulés par de grands espoirs tels Adeyemi, Havertz et surtout Musiala.

Portugal

Bernardo Silva, Leao, Fernandes, Dias, Cancelo, Joao Felix... Sur le papier, le onze de la sélection portugaise a de quoi impressionner. Mais ce sont les états d'âme de sa légende Cristiano Ronaldo qui agitent actuellement le pays. Il est en difficulté sur le plan sportif, en conflit ouvert avec son club Manchester United et voit probablement devant lui sa dernière chance d'ajouter son nom au palmarès du Trophée Jules Rimet. À Fernando Santos de préserver l'équilibre de son groupe.

Angleterre

Demi-finaliste en Russie, finaliste de l'Euro à domicile, les Three-Lions devraient encore être au rendez-vous au Qatar. Fort d'une belle génération - Alexander-Arnold, Mount, Foden, Grealish, Kane... - et malgré le jeu peu attrayant et très critiqué de son sélectionneur Gareth Southgate.

Belgique

Les stars belges se font vieilles et le Qatar semble être leur dernière occasion de briller dans un grand tournoi. Roberto Martinez et son adjoint Thierry Henry pourront compter sur l'un des meilleurs gardiens du monde, Thibaut Courtois, et un Kevin De Bruyne en feu.

Médias : "Je ne fais pas de chauvinisme, je reste journaliste" (Grégoire Margotton)

Sa voix est reconnaissable parmi des milliers. Peut-être grâce à ses envolées lyriques lorsque Benjamin Pavard a la bonne idée de venir nettoyer la lucarne argentine en huitième de finale de coupe du monde. Grégoire Margotton commentera, comme il y a quatre ans, les principaux matches de cette coupe du monde au Qatar et notamment les rencontres des Bleus. "Je serai prêt pour le coup d'envoi, promet-il. Je prépare les quatre, cinq premiers matches pour avoir un peu d'avance".

Avant le Qatar-Equateur de dimanche, le journaliste de 53 ans évoque notamment ce Mondial qui fait beaucoup parler, du dispositif mis en place pour un tel événement et de son entente avec Bixente Lizarazu.

Comment un journaliste, un commentateur aborde-t-il un tel événement ?
Grégoire Margotton : Je ne prépare pas toutes les équipes, certaines je le ferai une fois leur premier match passé. Je ne prépare en amont que les 4-5 premiers matches que je vais commenter. En soi, la préparation est quasiment la même que si je commentais un dimanche un Marseille-Lyon. C’est table, cahier puis joueur par joueur, équipe par équipe, je vais créer mes fiches en visionnant des matches, en lisant la presse étrangère, en regardant sur les sites… Tout ce que j’aime faire. J’écris à la main et j’arrive avec au stade. Si j’ai bien bossé normalement je ferme mon cahier et je n’en ai plus besoin.

Vous semblez proche de Bixente Lizarazu, ça aide pour trouver l'équilibre entre journaliste et consultant ?
C’est assez naturel. Le côté commentateur et consultant est quelque chose désormais de bien ancré. Humainement, il faut que ça se passe bien. Par exemple, à Canal, avec Christophe Dugarry je n’avais pas de relation plus que ça en dehors des matches mais avant, pendant et juste après, Christophe était quelqu’un avec qui, comme Bixente, je m’entendais particulièrement bien. Je trouve qu’au bout d’un moment c’est important, ça s’entend à l’antenne. Le consultant m’apporte beaucoup et je pense que moi aussi. Mon rôle est de le mettre dans les meilleures conditions possible. Lui est le buteur, moi je suis le passeur décisif. Il n’y a pas eu un consultant avec qui je ne me suis pas bien entendu, mais il y en a peu avec qui j’aurais pu passer un mois comme ça va être avec Lizarazu.

Un petit nouveau fait son arrivée chez vous, Adil Rami qui devient consultant…
J’espère qu’il sera drôle dans le sens le plus positif du terme car ça voudra dire que ça se passe plutôt pas mal avec les Bleus. Adil est très intelligent et dira toujours ce qu’il pense. Il connaît tous les joueurs, c’est sa grande qualité. Il connaît l’intérieur du groupe. Il sait comment se déroule ce genre de compétition. Il aura une parole très précise. Il dit de bonnes choses profondes mais avec le sourire. Ça fait du bien !

Boycott, Mondial de la honte... Quel est votre avis ?
Pour le boycott je pense que ce n’est plus le moment et le faire au dernier moment ne sert à rien. En revanche, enquêter, faire un métier de journaliste sur place en amont, pendant et après c’est notre métier. C’est indispensable et c’est une évidence. Moi, je suis là pour commenter les matches. Si j’étais journaliste au service info de TF1, mon métier serait de raconter ce que je vois et ce qu’il se passe au Qatar. Le boycott, je ne juge pas ceux qui l’appellent, mais je ne pense pas que ça fasse avancer les choses.

Allez-vous vous servir de votre expérience des autres compétitions pour changer quelque chose dans celle-ci ?
Peut-être. Le fait de m’être replongé pour un documentaire sur la coupe du monde 2018 et en écoutant mes commentaires, je me dis qu’il y a quelque chose que j’aimerais bien changer c’est cette bizarre habitude que j’ai eu pendant un mois de répéter deux fois la même chose au moment d’un but. C’est assez étonnant. Si je peux l’éviter là, j’aurai progressé.

Quand on commente un match des Bleus, comment jongle-t-on entre journaliste et supporter quelque part de son pays ?
J’ai eu un métier pendant 25 ans qui était de commenter des clubs contre des clubs. Naturellement je ne prenais parti pour personne. En match européen, on m’aurait reproché de ne pas avoir d’empathie pour des clubs français et c’est pareil pour l’équipe de France. Je ne fais pas de chauvinisme. Je reste journaliste. Si la France fait un scénario comme ce France-Argentine il y a 4 ans avec ce ‘Second poteau Pavard’, je ne deviens pas supporter mais effectivement je me lève de mon siège et je balance la bouteille d’eau et je crie très fort. C’est une évidence et personne ne va me le reprocher. Mon ton est celui de quelqu'un qui a de l’empathie logiquement pour les Bleus. Le choix des mots n’est pas celui de quelqu’un de chauvin. Et je pense que je ne le serai jamais !

Un petit nouveau fait son arrivée chez vous, Adil Rami qui devient consultant…
J’espère qu’il sera drôle dans le sens le plus positif du terme car ça voudra dire que ça se passe plutôt pas mal avec les Bleus. Adil est très intelligent et dira toujours ce qu’il pense. Il connaît tous les joueurs, c’est sa grande qualité. Il connaît l’intérieur du groupe. Il sait comment se déroule ce genre de compétition. Il aura une parole très précise. Il dit de bonnes choses profondes mais avec le sourire. Ça fait du bien !

Boycott, Mondial de la honte... Quel est votre avis ?
Pour le boycott je pense que ce n’est plus le moment et le faire au dernier moment ne sert à rien. En revanche, enquêter, faire un métier de journaliste sur place en amont, pendant et après c’est notre métier. C’est indispensable et c’est une évidence. Moi, je suis là pour commenter les matches. Si j’étais journaliste au service info de TF1, mon métier serait de raconter ce que je vois et ce qu’il se passe au Qatar. Le boycott, je ne juge pas ceux qui l’appellent, mais je ne pense pas que ça fasse avancer les choses.

Allez-vous vous servir de votre expérience des autres compétitions pour changer quelque chose dans celle-ci ?
Peut-être. Le fait de m’être replongé pour un documentaire sur la coupe du monde 2018 et en écoutant mes commentaires, je me dis qu’il y a quelque chose que j’aimerais bien changer c’est cette bizarre habitude que j’ai eu pendant un mois de répéter deux fois la même chose au moment d’un but. C’est assez étonnant. Si je peux l’éviter là, j’aurai progressé.

Quand on commente un match des Bleus, comment jongle-t-on entre journaliste et supporter quelque part de son pays ?
J’ai eu un métier pendant 25 ans qui était de commenter des clubs contre des clubs. Naturellement je ne prenais parti pour personne. En match européen, on m’aurait reproché de ne pas avoir d’empathie pour des clubs français et c’est pareil pour l’équipe de France. Je ne fais pas de chauvinisme. Je reste journaliste. Si la France fait un scénario comme ce France-Argentine il y a 4 ans avec ce ‘Second poteau Pavard’, je ne deviens pas supporter mais effectivement je me lève de mon siège et je balance la bouteille d’eau et je crie très fort. C’est une évidence et personne ne va me le reprocher. Mon ton est celui de quelqu'un qui a de l’empathie logiquement pour les Bleus. Le choix des mots n’est pas celui de quelqu’un de chauvin. Et je pense que je ne le serai jamais !

Jérôme Jacob

Le Mondial de la honte

Aberration sportive et écologique, la compétition qui commence au Qatar dimanche est surtout scandaleuse sur le plan des droits humains

D'abord, il y a l'absurdité sportive brute. Le Qatar n'est pas et ne sera probablement jamais un pays de football, son dossier de candidature pour l'organisation du Mondial était le moins bon présenté en 2010, et il a fallu déplacer le tournoi en novembre pour éviter de jouer sous 50 degrés. Dans un univers où seul le terrain compterait, puisque l'interlope Gianni Infantino, président de la Fifa, a récemment invité les peine-à-jouir "à se concentrer sur le football" et interdit aux Danois de s'entraîner avec des maillots pro-droits humains, la coupe aurait déjà été à une goutte de déborder.

Mais dans le dossier Qatar-2022 long et toxique comme un gazoduc, entaché par de forts soupçons de corruption, les logiques sportives, financière (la compétition a coûté 220 milliards de dollars*, à peu près le PIB de la Grèce) ou écologique ne sont pas seules sur le banc des victimes.

Commençons par les minorités LGBT, déjà pas très copines avec le foot tant les joueurs craignent de faire leur coming out. L'un des seuls en activité à avoir osé, l'Australien Josh Cavallo, estime que "se rendre dans un pays qui criminalise des gens comme moi est assez inquiétant." Difficile de lui donner tort : l'homosexualité y est passible de plusieurs années de prison, et Khalid Salman, ambassadeur du Mondial-2022, l'a comparé à un "dommage mental" la semaine dernière. Les droits des femmes sont eux quasi inexistants : elles ont besoin de l'assentiment de leur tuteur mâle pour voyager, travailler ou prendre un rendez-vous chez un gynécologue.

Le petit État gazier est une monarchie autoritaire et héréditaire, régi par la charia, ce qui laisse peu de place à la démocratie. Si les coupes du monde 1934, 1978 et 2018, orchestrées par de funestes dictatures (respectivement l'Italie de Mussolini, l'Argentine de Videla et la Russie de Poutine), ont jadis bousculé les consciences, le sort des ouvriers migrants, au sein de l'émirat, règle, sans contestation, le débat autour du pire mondial de l'histoire. Dans le quatrième pays le plus riche du monde en termes de PIB par habitant (selon le magazine spécialisé Forbes), une bonne partie de ceux dont les efforts ont rendu possible le rêve de gloire des émirs ont vécu un cauchemar ces douze dernières années.

"Le système au Qatar peut être considéré comme de l'esclavage moderne", explique Hiba Zayadin, chercheuse pour l'ONG Human Watch. Qu'en est-il réellement pour les employés étrangers, majoritaires dans un territoire de presque 3 millions d'habitants qui ne comporte pas plus de 350 000 Qataris ? Sur le papier, des évolutions positives ont été couchées noir sur blanc. En réalité, la situation a peu changé et les entreprises, parfois françaises (une filiale de Vinci a été mise en examen pour "soumission à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité" et "réduction à la servitude" pour des faits présumés au Qatar entre 2011 et 2014), ont toujours tous les droits sur sa main-d'oeuvre.

Pierre-Stéphane Fort, réalisateur de l'excellent Complément d'Enquête "Qatar 2022, un scandale français", a constaté des violations partout en quinze jours de tournage : "Dans les conditions de logement, de travail, le respect des horaires, des salaires et des heures supplémentaires impayées... Certains étaient aussi victimes de coupes de 10 ou 20 % sur leurs émoluments sans explication, d'autres ne pouvaient pas changer d'emploi, et tous n'avaient pas la même paie selon leur nation d'origine..." Avec, dès le départ et en toute illégalité, des dés pipés pour les futurs esclaves modernes (du Népal, Bengladesh, Sri Lanka, Inde, Pakistan, etc.), qui s'endettent en payant des frais de recrutement illégaux, et signent des contrats qui ne sont pas respectés une fois l'atterrissage à Doha. "J'ai rencontré des mecs qui pleuraient et me disaient qu'ils avaient envie de se foutre sous une bagnole parce qu'ils n'en pouvaient plus, poursuit le reporter. Après le boulot, ils occupent une chambre de 15 m² à six, avec des cafards partout, sans aucun moyen de se divertir." Selon un Provençal qui a vécu dans l'émirat, "le chien est au-dessus des Asiatiques et des Africains dans la hiérarchie". Un autre, qui vivait en face d'un building en construction, se souvient "de cris de gens qui tombaient dans le vide".

Un dernier expatrié français témoigne aussi : "Une loi interdit le travail en extérieur au-delà de 50 degrés. Sauf que dans certaines entreprises, le thermomètre ne dépasse jamais 49,5, même quand il fait 56 degrés et que le vent est plus chaud que l'air..." Ces conditions niant la dignité humaine sont à l'origine d'un bilan désastreux : plus de 6 500 morts sur les chantiers du Mondial selon le Guardian. L'estimation est forcément inexacte (et sous-estimée, selon nos sources) car quand un ouvrier trépasse, aucune enquête n'est diligentée par les autorités. Elles se contentent des plus présentables motifs de "mort naturelle" ou de "crise cardiaque" sur les certificats de décès d'hommes dans la fleur de l'âge et en parfaite santé. Pratique pour éviter d'indemniser les familles des défunts, restées dans le pays d'origine. Les organisateurs ont rétorqué avec un chiffre fantaisiste qui aurait pu devenir un classique de stand-up du Qatar Comedy Club si le sujet n'était pas dramatique : trois décès. Même sur le plan de l'humour noir, la coupe du monde 2022 est la pire de l'Histoire.

*Les deux dernières en Russie et au Brésil auraient coûté un peu plus de 10 milliards

Lola Schulman, chargée de plaidoyer/Amnesty International : "Les ouvriers doivent obtenir justice"

Le sujet des conditions de travail autour du Mondial au Qatar s'est-il imposé chez Amnesty International dès son attribution en 2010 ?
Oui, notre premier gros rapport sur le droit des travailleurs date de 2013, on y a fait nos premières recommandations au comité d'organisation et à la Fifa. On avait identifié les graves violations des droits humains et ce qu'il fallait mettre en place d'urgence. On se retrouve dix ans plus tard et si l'on constate des évolutions sur le papier, la réalité ne correspond pas aux promesses du Qatar.

Le Qatar a montré quelques signes d'ouverture mais les entreprises semblent encore faire ce qu'elles veulent des ouvriers. Est-ce le noeud du problème ?
Il y a eu de nombreuses réformes que l'on a saluées, comme l'abolition de la kafala (un système qui permettait aux employeurs de contrôler leurs salariés), la mise en place d'un salaire minimum, la ratification de pactes internationaux pour les droits économiques et sociaux. Mais l'on constate que les travailleurs et travailleuses ne bénéficient pas de ces avancées. Certains ont des salaires entiers ou des heures supplémentaires impayés pendant des mois, sont face à de très grandes difficultés lorsqu'ils souhaitent changer d'emploi, ont du mal à saisir la justice en cas de violation de leurs droits... D'autres travaillent 12 heures par jour, n'ont pas de jours de congé depuis des mois voire des années... La responsabilité est à la fois de la part du Qatar et de la Fifa, qui organise ce tournoi et est donc à l'origine des chantiers et de la venue de migrants qui ont permis la tenue du Mondial.

On a encore vu récemment des ouvriers manifester pour l'obtention de salaires impayés. Cela veut-il dire qu'ils n'ont aucune protection ?
Oui, certains travailleurs sont les proies d'une véritable exploitation. Il y a une impunité pour leur employeur. C'est urgent que les réformes soient vraiment mises en oeuvre, qu'il y ait des contrôles, des sanctions et la création de syndicats, pas encore autorisés. On veut aussi que le Fifa mette en place un fonds d'indemnisation, que les ouvriers obtiennent justice pour les violations qu'ils subissent depuis plus de dix ans. Une grande partie d'entre eux ont dû s'endetter pour se rendre au Qatar, en payant des frais de recrutement illégaux, qu'ils doivent parfois rembourser pendant des années. Avec ces dettes, ils sont pieds et poings liés à leur employeur.

Avez-vous une idée du nombre de travailleurs décédés sur les chantiers liés au Mondial ? Le chiffre de 6 500 est évoqué.
C'est impossible à déterminer car il n'y a aucune investigation (de la part des autorités qataries, ndlr) pour savoir s'il y a un lien entre le décès et les conditions de travail de l'employé.

Le Qatar avance de son côté le chiffre de trois morts liées à la coupe du monde...
Ce n'est absolument pas ce qu'on a pu constater dans nos enquêtes. On ne doit pas simplement compter les décès sur les chantiers des stades, mais sur l'ensemble des structures en lien avec le Mondial, et les lier aux conditions de travail : pour nous, il y en a eu des milliers. Ce chiffre de trois décès permet au Qatar de ne pas payer d'indemnités aux familles, qui doivent s'endetter pour rapatrier le corps du proche. C'est une tragédie personnelle et financière.

Et ceux qui restent vivent dans des conditions parfois honteuses...
Oui. Une grande partie d'entre eux ne bénéficient pas de lieux corrects et vivent dans des conditions indignes. Et la situation demeure terrible : il y a eu des améliorations, mais pas à la hauteur.

Ludovic Ferro

Écologie : entrée, plat, désert au menu qatari

Plus que les droits de l'homme, de la femme, des ouvriers migrants et des minorités bafoués, plus que la corruption suspectée autour de l'attribution de cette coupe du monde en 2010, plus que le soft-power et le sport-washing contestables du Qatar, un sujet a fait polémique ces derniers mois : les conséquences écologiques de la compétition sur une planète au bord de l'asphyxie. La Fifa a fait une estimation : 3,631 millions de tonnes en CO2 seront émises durant le Mondial-2022 (2,1 il y a quatre ans en Russie).

Le tout, dans un pays ultra-dépendant aux énergies fossiles et recordman mondial d'émissions de CO2 par habitant. Le petit État du Golfe persique et la Fédération internationale de foot ont toutefois insisté sur la "neutralité carbone" de l'événement, grâce au financement d'initiatives vertes par ailleurs. Un calcul fantaisiste et mensonger. "La compensation carbone consiste à la construction de panneaux solaires ou la plantation d'arbres dans un autre pays par exemple, en échange de crédits carbone qui viennent alléger son bilan climat", nous fait savoir Greenpeace. "La neutralité mise en avant par les organisateurs n'est pas une réponse à l'urgence climatique et peut être considérée comme du greenwashing(une technique de marketing utilisée dans le but de se donner une image écologique trompeuse). Un grand événement comme la coupe du monde ne peut jamais être neutre en carbone", poursuit-on au sein de l'ONG de protection de l'environnement.

Pour Khaled Diab, de Carbon Market Watch, les chiffres de la Fifa sont également contestables : "Ils sont trop bas, surtout parce qu'ils ont sous-estimé le poids des infrastructures et les émissions de construction de stades. On ne peut prédire le futur, mais le grand risque est qu'ils ne soient pas exploités après la coupe du monde et ne soient pas des investissements sur le long terme. C'est comme si vous aviez construit la Tour Eiffel uniquement pour l'exposition universelle de 1889..."

Le nombre de places de ces enceintes pose aussi question : six d'entre elles comporteront 40 000 strapontins (dont un sera complètement démonté à l'issue du Mondial), un 60 000, et 80 000 pour le stade de Lusail, qui accueillera la finale. À titre d'exemple, Christian Gourcuff, qui a entraîné en Qatar Stars League en 2018-19, déclarait sur le site de So Foot : "En championnat, l'affluence est ridicule. On jouait devant 30 personnes."

"C'est problématique et pas sain, construire un stade coûte très cher, d'autant plus au milieu du désert, et ça rejette de lourdes émissions, poursuit le représentant de Carbon Market Watch, une association à but non lucratif. On ne peut pas savoir si cette coupe du monde sera pire que les autres, la seule chose que l'on peut affirmer est qu'un événement de cette ampleur a en général un énorme impact sur l'écologie. C'est en tout cas exagéré et pas crédible de dire qu'il y aura une neutralité carbone, à cause de la construction d'infrastructures, mais aussi des navettes quotidiennes en avion entre le Qatar et les pays voisins."

À l'époque où ce moyen de transport est de plus en plus pointé du doigt pour la pollution qu'il génère, le Mondial-2022 sera très gourmand en vols régionaux : 2 000 trajets aériens quotidiens sont prévus au Qatar de J-7 à J+ 2. La raison : la taille du pays, trop petit et trop peu pourvu en hébergements pour accueillir tous les supporters qui assisteront aux prestations de leur sélection fétiche. Certains fans logeront donc dans les États voisins (Émirats arabes unis, Koweït, Oman, Arabie saoudite...) et feront la navette les jours de match. "Ce n'est pas grand-chose par rapport aux vols tous les jours à travers le monde car nous avons un problème général avec l'avion, poursuit Khaled Diab. Combien en aurons-nous en 2026 entre les États-Unis, le Canada et le Mexique ? C'est un énorme territoire, la distance entre Dubaï et Doha est faible comparée à celle entre Mexico et Toronto ou entre la côte Est et Ouest des USA. Tout ceci ne doit pas nous faire sentir innocent, on importe beaucoup de gaz de Russie et du Qatar, on fait en sorte que ce système perdure... Les critiques légitimes émises, on pourrait aussi les faire pour nous-mêmes : on parle beaucoup de stades climatisés là-bas, mais en Europe nous avons de nombreux stades chauffés... Et le chauffage a aussi besoin de beaucoup d'énergie..."

L'hypocrisie occidentale est réelle, certes, mais sept stades à ciel ouvert climatisés (sur huit), cela ressemble à une aberration écologique, d'autant que le tournoi a été décalé en automne-hiver pour éviter les températures frôlant les 50 degrés. Le point positif, puisqu'il faut en trouver un, est que la clim ne devrait pas souvent être utilisée puisqu'il devrait faire un temps largement supportable (autour de 25 degrés). Pour le reste, le trip qatari sera très coûteux pour une planète qui n'avait pas besoin de ça.

Ludovic Ferro

Aux origines du Mondial

Le chiffre donne le vertige : selon la justice américaine, les cadres de la Fifa auraient empoché plus de 150 millions de dollars de pots-de-vin depuis 1991 dans le cadre d'attribution de plusieurs coupes du monde et de contrats marketing. Une somme coquette, révélatrice d'une institution vérolée de la tête aux pieds. Dans l'histoire récente, l'Allemagne 2006, l'Afrique du sud 2010, la Russie 2018, et évidemment le Qatar 2022 sont suspectés d'avoir franchi la ligne rouge. "Il y a de plus en plus d'argent dans le sport, qui est devenu, au fil du temps, un business juteux. Et où il y a beaucoup d'argent, il y a de la corruption", résume Béatrice Guillemont, provençale et directrice générale d'Anticor, association anticorruption indépendante qui a intenté des poursuites concernant l'attribution de la coupe du monde 2022.

"Nous appelons ce dossier 'Sarkozy-Platini'. Certains éléments portent à croire qu'un pacte de corruption aurait été scellé entre les différents protagonistes, et singulièrement entre Nicolas Sarkozy, Michel Platini et les dirigeants qataris", poursuit la docteure en droit.

L'affaire n'a pas été jugée, il s'agit donc uniquement de suspicion, mais le désormais mémorable déjeuner de l'Élysée respire plutôt le soufre que l'éthique. Jugez plutôt le plan de table du 23 novembre, neuf jours avant le vote de la Fifa pour les coupes du monde 2018 et 2022 : "Sarko", "Platoche" (alors président de l'UEFA), Claude Guéant (secrétaire général de l'Élysée), Sophie Dion (conseillère Sports du chef de l'État), Tamim Al-Thani (prince héritier du Qatar et actuel émir) et Hamad Ben Jassem Al Thani (premier ministre qatari). Durant ce repas, qualifié "d'ingérence politique" par Sepp Blatter (qui s'y connaît parfaitement) en avril 2017, il aurait été question des votes pour le Mondial-2022, mais pas que. Le Parquet national financier soupçonne un vaste marchandage, et les éléments sont troublants : d'un côté le Qatar a obtenu la prestigieuse compétition, a racheté le PSG (club supporté par Sarkozy), introduit Al Jazeera sur le marché français (BeIN Sports) quelques mois plus tard et a également commandé 24 avions de chasse Rafale à la France. De l'autre, Laurent Platini, fils de, devenait un an plus tard DG de Burrda Sport, un équipementier qatari. Enfin, le pays du golfe persique a investi tous azimuts dans les entreprises hexagonales, dont Lagardère (le président Arnaud est un ami de l'ancien président de la république), ou Accor, dirigé par Sébastien Bazin (qui avait vendu le PSG à QSI) qui nommera... Nicolas Sarkozy à son conseil d'administration.

"L'apogée du système Fifa corrompu jusqu'à la moelle"

Élément troublant, des notes rédigées par Sophie Dion, saisies lors d'une perquisition à son domicile, montrent que dès mars 2010, le gouvernement lorgnait Michel Platini. "Il a une influence non négligeable sur le vote des membres de la Fifa. La délégation qatarie espère obtenir le soutien de la France et du président de l'UEFA", était-il écrit, en plus d'un savant plan de bataille pour ne pas froisser la bête au moment des négociations.

Grand manitou de la Fifa, à l'époque, Sepp Blatter lève une partie du voile dans le Complément d'enquête "Qatar 2022 : un scandale français" : "Michel m'a appelé juste après. Le président Sarkozy lui a recommandé de voter pour le Qatar. Platini m'a dit : 'Qu'est-ce que tu ferais toi, si ton président te demandait une chose pareille ? Notre entente ne tient plus. Tu ne peux plus compter sur mes voix au conseil exécutif de la Fifa'"

Depuis le début de l'enquête, une opaque omerta entoure ce fumeux repas, et ceux qui en parlent le mieux n'avaient pas reçu de carton d'invitation. "Avant ce déjeuner, Michel était pro-USA", confirme Jérôme Valcke, ex-secrétaire général de la Fifa, dans une interview au Monde, ce que dément régulièrement le principal intéressé. Le mystère reste épais, même si les coïncidences sont presque aussi nombreuses que le nombre de travailleurs migrants morts sur place depuis 2010. Mais l'émir, son héritier et leurs chaouchs ne se sont pas contentés du lobby auprès des Français, qui, a priori, a fait basculer le scrutin avec les voix européennes dans le sillage de "Platoche" (14-8 au dernier tour contre les Américains).

"Cette attribution du 2 décembre 2010 est l'apogée du système Fifa corrompu jusqu'à la moelle, même si je pense que la Fifa d'Infantino (successeur de Blatter) est encore pire. Quelques mois après le vote, la famille du votant Marios Lefkaritis a vendu aux Qataris un terrain à Chypre pour une somme considérable (32 millions d'euros), très nettement au-dessus du prix du marché", détaille Philippe Auclair, auteur d'une enquête précurseur sur le sujet dès 2013. Le FBI soutient aussi que trois délégués sud-américains ont voté pour le petit pays du Golfe en échange d'un pot-de-vin, tandis que le Qatar avait payé les frais d'organisation du congrès de la Confédération africaine de football, début 2010. Le timing est suspect : "C'est pour moi de la corruption, puisqu'il s'agissait d'être les seuls à avoir accès aux délégués africains, condition de la sponsorisation de ce congrès", poursuit Auclair.

Il y a enfin la rocambolesque affaire Reynald Temarii, ancien vice-président de la Fifa. Le Tahitien avait été suspendu par l'instance pour avoir laissé entendre, à des journalistes sous couverture, qu'il pourrait voter pour les États-Unis en échange d'1,7M€. D'abord, il accepte sa sanction, puis fait appel, ce qui a privé sa confédération (celle de l'Australie, aussi candidate) d'un vote et allait dans le sens du Qatar. Devinez qui a réglé les frais de défense (305 440€) de Temarii ? Mohamed Bin Hammam, membre du Comex de la Fifa et bien évidemment qatari.

Michel Platini, l'homme qui a fait pencher la balance

Le maître du jeu. Celui qui a tenu les rênes de l'histoire, l'orientant à sa guise. En point d'orgue, cet Euro-84 durant lequel ses coups de patte ont décomplexé la France, enfin débarrassée de sa virginité. Le maître du jeu. Celui qui a tiré les ficelles du football européen, en façonnant l'idée d'un fair-play financier et en s'opposant farouchement à l'arbitrage vidéo. Sous la tunique bleue ou bianconera, tiré à quatre épingles à la tête de l'UEFA, Michel Platini a fait sienne la loi de l'attraction. Le ballon rond tournait autour de sa glorieuse personne. L'on savait le plus grand joueur français capable de bouleverser le cours d'une rencontre et mettre au pas les instances dissipées, le Parquet national financier le suspecte d'avoir un tour de plus dans sa manche.

Depuis l'ouverture d'une enquête préliminaire, en 2016, pour "corruption privée", "association de malfaiteurs", "trafic d'influence et recel de trafic d'influence", le triple Ballon d'Or est dans le collimateur de la justice. Objet de la discorde, les conditions d'attribution, au Qatar, du Mondial-2022. Scène du délit, les salons de l'Élysée, où le bulletin de "Platoche" aurait servi de monnaie d'échange et, in fine, fait pencher la balance de cette nauséabonde élection. En attendant le verdict du juge d'instruction, sur le pont depuis 2019, un fait inébranlable ressurgit tel un fantôme du passé. De son propre aveu, Michel Platini a glissé dans l'urne, ce sinistre 2 décembre 2010, les cinq lettres interdites.

Pris dans la tempête d'un système copieusement gangrené (lire ci-dessus), l'ancien numéro 10 des Bleus a-t-il eu la griffe qu'on lui prête ? Pour rappel, le comité exécutif de la Fifa, composé de 22 membres, avait la main sur le scrutin (victoire du Qatar, 14 voix contre 8 pour les États-Unis). "Il est certain que Platini a emmené les autres délégués de l'UEFA (sept personnes au maximum, dont les sulfureux Michel D'Hooghe, Maria Villar Llona et Senes Erzik, NDLR) dans son sillage. Vous n'allez pas contre le président de votre confédération, qui plus est archi-favori pour succéder à Sepp Blatter à la tête de la Fifa. C'est le b.a.-ba. du jeu politique, insiste Philippe Auclair, journaliste chez France Football, coauteur de l'enquête Qatargate, en 2013. C'est absolument crucial. Sans son vote et sans son autorité sur ses collègues de l'UEFA, le Qatar aurait eu de sérieux problèmes pour obtenir la majorité absolue."

D'abord "du mépris" pour le dossier qatari

En soi, hormis un simple cas de conscience, le natif de Joeuf n'aurait guère soulevé de polémiques s'il avait "vite compris qu'il fallait (donner) la coupe du monde au monde arabe". Entre ces propos, tenus lors de sa garde à vue de décembre 2017, et son avis inaugural, il semble y avoir un univers parallèle. "En juin 2010, Michel Platini n'envisageait pas de voter pour le Qatar, affirmait son ancien directeur de cabinet, Kevin Lamour, devant les enquêteurs du PNF. Il nous avait annoncé que ce serait la fin de l'UEFA en termes d'image." Aversion pour la candidature émiratie confirmée par son ex-directeur de la communication, William Gaillard, également chargé de négocier avec les USA pour... le Mondial-2022 : "Il avait une sorte de mépris, il la trouvait loufoque. Il disait même qu'ils n'avaient pas d'équipe de foot."

Outre la cour assidue de Marios Lefkaritis, délégué chypriote convaincu et renfloué par le Qatar, le regard de Michel Platini se serait adouci un mois avant le fameux déjeuner à l'Élysée, source de tous les fantasmes, à l'occasion de la présentation officielle des aspirations qataries, le 21 octobre à Genève. "À l'issue de l'exposé, il leur a laissé entendre qu'il pourrait voter pour le Qatar", soutient Lamour, en précisant que, la veille, son patron avait vraisemblablement dîné avec Tamim Al-Thani, futur émir. Un visage que le dirigeant français recroisera, à neuf jours du plébiscite, au 55 de la rue du Faubourg-Saint-Honoré. "Un tournant décisif", note le PNF.

"Influence et corruption morale"

Un tournant, également, pour son fils ? Hasard du calendrier, Laurent Platini signait un contrat rémunéré 150 000 € chez l'équipementier Burrda, filiale du fonds Qatar Sports Investments, un an plus tard. Il y exercera ses fonctions de "general manager" jusqu'en décembre 2016, avant de retrouver le groupe Largardère, dont le Qatar est actionnaire. Le père a toujours nié toutes formes de corruption : "Je suis blanc comme neige, je ne suis pas pourri." Face au bataillon du PNF, il a aussi démenti avoir reçu des cadeaux. Et ce malgré la présence d'une lithographie de Picasso, offerte par un oligarque russe avant le Mondial-2018, dans sa résidence secondaire. "Je ne pense pas que Michel Platini ait reçu une enveloppe ou un virement du Qatar. De corruption au sens propre, il n'y a pas eu, tranche Philippe Auclair. Par contre, influence, certainement. On parle là de corruption morale." Celle du maître du jeu. Celui qui a permis à l'émirat d'obtenir sa coupe du monde. La pire.

Ludovic Ferro et Tristan Rapaud