Présidentielle, la mascarade des 500 signatures

La cour de l'Elysée, qui accueille les présidents de la République depuis 1848 / Photo Frédéric Speich

La cour de l'Elysée, qui accueille les présidents de la République depuis 1848 / Photo Frédéric Speich

La cour de l'Elysée, qui accueille les présidents de la République depuis 1848 / Photo Frédéric Speich

Comme à chaque élection présidentielle, la polémique fait rage autour des 500 parrainages d'élus destinés à sélectionner les candidats. Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, Eric Zemmour et d'autres pourront-ils se présenter ? Mis en place à l'aube de la Ve République, ce dispositif est très vite apparu inadapté. Sans qu'aucun gouvernement n'ait eu le courage de le réformer...

Bulletins de vote pour le premier tour de la présidentielle de 2007 / Photo Florian Launette

Bulletins de vote pour le premier tour de la présidentielle de 2007 / Photo Florian Launette

Bulletins de vote pour le premier tour de la présidentielle de 2007 / Photo Florian Launette

Bien que, depuis le ballottage initiatique du général de Gaulle en 1965, la course à l'Élysée n'ait pas été avare en surprises, ceux qui ont un peu de mémoire savent que le rythme d'une campagne présidentielle doit beaucoup à une succession de rites politico-médiatiques. Aujourd'hui, nous en sommes au stade de la collecte des 500 signatures, indispensables pour revenir en semaine suivante. Prisée des gazettes, qui trouvent là matière à raconter une sorte de chasse au trésor nettement plus excitante que le chiffrage du programme de Nathalie Arthaud ou de Nicolas Dupont-Aignan, cette séquence dégage un folklore qui n'est bien évidemment pas une nouveauté. Par exemple, candidat en 1969 et 1974, Alain Krivine se souvient en souriant qu'à l'époque, « les copains et les copines » chargés de démarcher les maires des petites communes rurales se faisaient virer « à coups de fourche », qu'ils étaient traités de « hippies et de gauchistes »...

Le 5 décembre 1965, la télévision donne les résultats du premier tour de la présidentielle. En queue de peloton, deux petits candidats : Pierre Marcilhacy et Marcel Barbu / Ina

Le 5 décembre 1965, la télévision donne les résultats du premier tour de la présidentielle. En queue de peloton, deux petits candidats : Pierre Marcilhacy et Marcel Barbu / Ina

Le 5 décembre 1965, la télévision donne les résultats du premier tour de la présidentielle. En queue de peloton, deux petits candidats : Pierre Marcilhacy et Marcel Barbu / Ina

En 2002, Jean-Marie Le Pen surjoue ses difficultés à obtenir 500 signatures d'élus avant de se qualifier pour le second tour / La Provence

En 2002, Jean-Marie Le Pen surjoue ses difficultés à obtenir 500 signatures d'élus avant de se qualifier pour le second tour / La Provence

En 2002, Jean-Marie Le Pen surjoue ses difficultés à obtenir 500 signatures d'élus avant de se qualifier pour le second tour / La Provence

Instauré par la Constitution de 1958, durci en 1962 et en 1976, modifié en dernier lieu en 2016 et 2021, le système des signatures d'élus est manifestement à bout de souffle, comme en témoignent les vives critiques qui fusent de toutes parts depuis quelques semaines. Ainsi, au-delà des récriminations des concurrents qui craignent de butter sur la barrière, parfois surjouées comme celles de la famille Le Pen qui sait parfaitement mettre scène cet épisode (ah, Jean-Marie faisant de la retape téléphonique en 2002 ou Marine manifestant devant le Conseil constitutionnel en 2012...), force est de constater que cette présélection confiée aux élus n'a que très partiellement rempli sa mission, qui était initialement de décourager « les candidatures fantaisistes » : de Marcel Barbu en 1965 à François Asselineau en 2017 en passant par l'industriel en mal de publicité Louis Ducatel (1969), le royaliste Bertrand Renouvin (1974) ou le correspondant français d'une secte US Jacques Cheminade (à trois reprises, 1995, 2012 et 2017), les dix élections au suffrage universel direct à deux tours proposées par la Ve République ont connu leur lot de prétendants anecdotiques ou groupusculaires.

Plus largement, le dispositif en vigueur depuis plus de 60 ans peine à représenter la diversité des visages de la société française. Parfois, pour de simples raisons techniques. Qui sait que les « petits maires » si prisés des candidats sont deux ou trois fois plus nombreux au nord de la Loire, ce qui complique s'il en était besoin la tâche des formations plutôt implantées en dessous de cette frontière virtuelle, à l'image du Front national (même le Nord est devenu un de ses bastions), du PRG, de Génération Écologie ou autrefois du MNR de Bruno Mégret ? Au-delà, depuis le 21 avril 2002 et la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour favorisée par la présence de seize concurrents, tout le monde s'accorde à dire que les élus rechignent de plus en plus à dégainer leur stylo. D'où le recours à des « techniques de plus en plus professionnelles », comme l'expliquait voici quelques années déjà Jean-Luc Bennahmias, l'ex-« Monsieur Signatures » des Verts (passé ensuite au MoDem avant de participer à la primaire de la Belle alliance populaire en 2017). De fait, les candidats en puissance dépensent des sommes folles dans l'opération, salariant pendant des mois des équipes de démarcheurs, multipliant les courriers, avalant les kilomètres : en 2002, les Verts auraient engagé 130 000 euros, la LCR 100 000 euros, l'UDF 180 000 euros... Des budgets qui ont depuis explosé !

Jean-Luc Bennahmias, l'ex-« Monsieur Signatures » des Verts / Photo Richard Colinet

Jean-Luc Bennahmias, l'ex-« Monsieur Signatures » des Verts / Photo Richard Colinet

Jean-Luc Bennahmias, l'ex-« Monsieur Signatures » des Verts / Photo Richard Colinet

En 2002, le clan Chirac récupère via le MNR de Bruno Mégret la liste des maires qui ont promis de signer pour le leader du FN ! / La Provence

En 2002, le clan Chirac récupère via le MNR de Bruno Mégret la liste des maires qui ont promis de signer pour le leader du FN ! / La Provence

En 2002, le clan Chirac récupère via le MNR de Bruno Mégret la liste des maires qui ont promis de signer pour le leader du FN ! / La Provence

Plus inquiétant pour la bonne santé de la démocratie, ce dispositif est régulièrement dévoyé par les grands partis, qui téléguident ces signatures pour offrir un bon de sortie à tel candidat et expédier tel autre dans le fossé. Objectif, se constituer un réservoir de voix en vue du second tour, affaiblir l'adversaire, éliminer un danger... En 2002, le RPR et le PS ont ainsi joué aux apprentis sorciers, mettant les mains dans le compteur d'une dizaine de concurrents : Le Pen, Besancenot, Lepage, Pasqua, Taubira, Lalonde, Mégret, Madelin, Voynet, Boutin, Miguet... Parfois en usant de moyens proches du piratage, comme lorsque le clan Chirac a récupéré via le MNR la liste des maires qui avaient promis de signer pour le leader du FN ! On comprend mieux que le terme de « parrainages » se soit imposé dans la sémantique politique, avec ses connotations mi-mafieuses mi-religieuses, alors que la loi du 6 novembre 1962 se contentait de l'intitulé plus neutre de « présentations »...

Conséquence, il est plus que temps de réformer une règle inadaptée, qui se prête à toutes les carambouilles ! D'ailleurs et depuis fort longtemps (1), les idées ne manquent pas : pétition de citoyens comme en Italie ou en Pologne, retour à l'anonymat des élus signataires, qualification d'office d'un candidat soutenu par un parti ayant obtenu 5% lors de l'élection précédente... Plusieurs réformes du système ont bien été proposées, mais sans succès. On peut notamment citer en 2007 les travaux du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions présidé par Edouard Balladur (il suggérait d’abandonner le système des 500 parrainages et de le remplacer par un collège d’environ 100 000 élus qui auraient désigné à bulletin secret le candidat qu’ils souhaitaient voir concourir) ou encore ceux en 2012 de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique présidée par Lionel Jospin (un dispositif de parrainage citoyen : seuls les candidats ayant recueilli un seuil minimum de 150 000 parrainages de citoyens auraient pu concourir).

En 2012, Lionel Jospin a présidé la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique / La Provence

En 2012, Lionel Jospin a présidé la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique / La Provence

En 2012, Lionel Jospin a présidé la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique / La Provence

Nicolas Sarkozy en 2007 : « La démocratie ne doit pas être confisquée par un petit nombre de gens » / La Provence

Nicolas Sarkozy en 2007 : « La démocratie ne doit pas être confisquée par un petit nombre de gens » / La Provence

Nicolas Sarkozy en 2007 : « La démocratie ne doit pas être confisquée par un petit nombre de gens » / La Provence

A croire les déclarations au fil des deux dernière décennie d'un Nicolas Sarkozy, d'un François Hollande, d'un Emmanuel Macron, d'un François Bayrou ou d'un Jean-Pierre Raffarin, les LR, le PS ou encore le tandem LRem-MoDem seraient aujourd'hui convaincus de cette nécessité. Nicolas Sarkozy a par exemple affirmé avant d'entrer à l'Elysée que « la démocratie ne doit pas être confisquée par un petit nombre de gens ». Bien entendu, essentiellement motivées par la crainte d'être éclaboussés par les accusations des petits concurrents éliminés, la posture adoptée par les mammouths de la vie politique française est proprement hilarante tant elle est généralement tardive et de circonstance.

Qui a ainsi plaidé en mars 2002 pour « une redéfinition du collège des parrains » ? François Hollande... qui depuis a totalement zappé le sujet, y compris durant son séjour à l'Elysée, si ce n'est en ordonnant par écrit aux élus socialistes de signer pour Ségolène Royal en 2007. A l'automne 2005, alors ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy avait bien poussé un de ses hommes de main, le député Manuel Aeschlimann, à ouvrir le débat : c'était pour suggérer que les noms de tous les élus qui acceptent de signer pour un candidat soient adressés aux électeurs avec les professions de foi et les bulletins de vote...

François Hollande a totalement zappé le sujet durant son séjour à l'Elysée / République française

François Hollande a totalement zappé le sujet durant son séjour à l'Elysée / République française

François Hollande a totalement zappé le sujet durant son séjour à l'Elysée / République française

Laurent Fabius et sept membres du Conseil Constitutionnel, en 2019 / AFP

Laurent Fabius et sept membres du Conseil Constitutionnel, en 2019 / AFP

Laurent Fabius et sept membres du Conseil Constitutionnel, en 2019 / AFP

Le salut pourrait-il venir du Conseil constitutionnel, chargé de vérifier les signatures des élus ? Bien au contraire, depuis 40 ans, partisans d'« un filtrage plus strict », les sages du Palais-Royal n'ont de cesse de s'arc-bouter sur le dispositif des parrainages, préconisant de passer la barre à 1 000 paraphes autant que de « raccourcir la période de réception (des formulaires) de présentation ». Et si Laurent Fabius qui préside l'institution s'est dit récemment conscient du problème, l'ancien Premier ministre socialiste a rappelé que ce n'est pas à la veille de l'élection et du dépôt des présentations que les règles peuvent être changées.

Reste la presse, qui multiplie depuis quelques semaines les éditos appelant à rénover le mode d'emploi de la présidentielle. Sauf qu'une fois passée les échéances des 10 et 24 avril, saura-t-elle renvoyer chacun à ses propos de campagne ? A en juger par la schizophrénie dont elle ne manquera pas de faire preuve d'ici quelques jours, en se ruant sur les élus signataires pour les obliger à se justifier d'un choix illico traduit comme un soutien politique à un candidat, on peut en douter.

(1) Dès 1995, douze parlementaires déposaient une proposition de loi en ce sens.

En 2002, la presse consacre des articles aux élus qui ont signé pour Jean-Marie Le Pen et plusieurs d'entre eux subissent des pressions / AFP

En 2002, la presse consacre des articles aux élus qui ont signé pour Jean-Marie Le Pen et plusieurs d'entre eux subissent des pressions / AFP

En 2002, la presse consacre des articles aux élus qui ont signé pour Jean-Marie Le Pen et plusieurs d'entre eux subissent des pressions / AFP