Robert Guédiguian, petit manuel de réflexion politique

Le cinéaste marseillais vient de publier « Les Lendemains chanteront-ils encore ? », afin de développer sa vision du monde et de nourrir le dialogue à la veille de l’élection présidentielle.

Dans les films de Robert Guédiguian comme dans ses engagements et ses prises de position, la politique est partout. Il était donc logique que le cinéaste marseillais lui consacre un jour un ouvrage spécifique, afin de développer sa vision du monde et de nourrir le dialogue à la veille de l’élection présidentielle : fruit de longues discussions avec Christophe Kantcheff de l’hebdomadaire « Politis », « Les Lendemains chanteront-ils encore ? » vient de sortir aux éditions Les Liens qui libèrent. Robert Guédiguian le présente ce jeudi 9 décembre à Marseille, à l’occasion d'une rencontre avec ses lecteurs.

La couverture du nouveau livre de Robert Guédiguian, publié aux éditions Les Liens qui libèrent / DR
La couverture du nouveau livre de Robert Guédiguian, publié aux éditions Les Liens qui libèrent / DR

Christophe Kantcheff, rédacteur en chef adjoint de l'hebdomadaire « Politis » / DR
Christophe Kantcheff, rédacteur en chef adjoint de l'hebdomadaire « Politis » / DR
Comment est né cet ouvrage, que l’on peut considérer comme un prolongement de vos films ?
L’éditeur Les Liens qui libèrent, qui est extrêmement actif dans le segment politique, me le proposait depuis longtemps mais par manque de temps, cela ne s’était pas concrétisé. Le Covid a fait que comme on dit en Italie, je me suis trouvé « désoccupé », en quelque sorte en chômage technique. Ces entretiens avec Christophe Kantcheff, que je connais depuis longtemps, ont donc été possibles. J’ajoute à cela la conscience du désastre vers lequel nous allons, l’hypothèse d’une disparition de la gauche en France. Je sais que cela amuse beaucoup de gens qui considèrent que la gauche est dépassée mais de mon point de vue, c’est un raisonnement complètement fou, ce serait une catastrophe. Il y a des gens qui, au nom d’un « nouveau monde », claironnent qu’il serait formidable de voir disparaître les partis politiques : cela me fait très peur, j’ai beaucoup aimé les décennies que nous avons vécues avec des partis, des associations, des syndicats, avec des collectifs qui structurent nos vies, qui nous aident à penser, à transmettre nos pratiques et notre histoire. Si on perd ces éléments de régulation qu’ont été les partis, je m’inquiète du chaos qui sera celui d’individus abandonnés à leur solitude.
Le livre débute par une évocation de votre militantisme au sein du Parti communiste, proche du plaidoyer. Que vous a apporté cet engagement ?
C’est comme une université, une seconde école de la vie, comme des travaux pratiques. Bien sûr que j’ai appris beaucoup de choses à l’école de la République, au lycée, à l’université, mais c’est là que j’ai appris autre chose ou alors autrement, à avoir un point de vue sur ce que l’on m’a enseigné à l’école officielle. Ça m’a appris à débattre, à discuter des idées sur le monde, à l’analyser pour le transformer. Et aussi une forme de vie en collectif, avec des gens autour de soi, même si parfois on est en désaccord. Ça m’a appris à ne pas être seul, à me sentir dans une communauté humaine et universelle. Je militais bien évidemment avec des hommes, des femmes, des jeunes, des vieux, des gens de toutes les couleurs, dont les origines et les confessions n’étaient pas les mêmes.

Affiche du Parti communiste contre les dérives du capitalisme mondialisé, diffusée en 1977 / DR
Affiche du Parti communiste contre les dérives du capitalisme mondialisé, diffusée en 1977 / DR

L'« Ocean Viking », un des bateaux affrétés par SOS Méditerranée pour secourir les migrants / Photo Frédéric Speich
L'« Ocean Viking », un des bateaux affrétés par SOS Méditerranée pour secourir les migrants / Photo Frédéric Speich
Le militantisme politique a-t-il disparu pour laisser place à de nouveaux combats, moins structurés ?
Disparu, non, il existe encore des militants. Mais il n’existe plus de grandes formations généralistes comme auparavant et il y a beaucoup moins de membres et d’adhérents, cela concerne tous les partis. En plus, le rapport entre les partis et les intellectuels, avec le monde des idées, n’est plus le même : il y avait une véritable osmose entre la pensée et la pratique, les philosophes, les historiens, les artistes ou encore les scientifiques influençaient la vie politique. C’était plus harmonieux qu’aujourd’hui, plus associé. Aujourd’hui, la théorie existe d’un côté, la pratique de l’autre, une séparation s’est installée. Bien sûr, il y a de nouveaux espaces de combat mais ils sont sur une pratique : par exemple, SOS Méditerranée que je soutiens depuis le début tout comme ma société. Ils le disent eux-mêmes, ils ont pour combat de sauver des gens, ils ne développent pas de discours général sur l’immigration dans le monde, leur action n’aboutit pas à une conscience politique des choses et sur une possible transformation verticale. C’est un engagement horizontal et c’est un travail qui compte énormément, le leur comme celui qui est mené dans les entreprises, dans les coopératives, dans des squats, dans les villes, dans les campagnes. J’appelle cela « les moments communistes ». Mais je défends l’idée que l’on puisse aussi travailler dans le vertical, dans l’idée de prendre le pouvoir à l’occasion des élections, de la plus petite à la plus grande : il ne faut pas abandonner ces terrains, sur lesquels sont prises des décisions considérables.
Vous avez d’ailleurs un grand regret, que les gilets jaunes n’aient pas eu de traduction politique puis électorale…
Longtemps soutenu par la population, ce mouvement restera dans les consciences, ne serait-ce que par la peur des réactionnaires qu’ils recommencent et redescendent dans la rue. Mais ils auraient dû aller plus loin, se constituer en parti : c’est un sentiment étrange que de ne pas vouloir prendre le pouvoir pour en faire plus.

Manifestation de gilets jaunes dans le pays d'Arles / Photo Valérie Farine
Manifestation de gilets jaunes dans le pays d'Arles / Photo Valérie Farine

Manifestation à Marseille de la gauche unie, pour le 1er-Mai 1936 / La Provence
Manifestation à Marseille de la gauche unie, pour le 1er-Mai 1936 / La Provence
De longue date, la gauche s’est divisée entre réformistes et révolutionnaires. L’unité est-elle possible aujourd’hui, comme en 1936 ou dans les années 1970 ?
Je prétends que ces deux gauches ne sont pas irréconciliables, bien au contraire. Le mot existait chez Jaurès, l’oxymore « réformisme révolutionnaire ». C’est-à-dire faire des réformes en ayant toujours en vue la possibilité qu’elles transforment radicalement la société, qui soient toujours sous-tendues par une vision générale plus lointaine. Tout cela peut se penser, c’est la voie dans laquelle il faut s’engager pour que la gauche existe à nouveau, pour qu’elle se réunisse et propose une autre conception du monde que le capitalisme mondialisé, qui a fait son temps. En ce moment, on s’aperçoit que le monde dans lequel nous vivons, non content de provoquer des guerres, entraîne des crises sanitaires et accélère la fin de la planète. Je ne vois pas très bien comment l’on peut continuer avec ce système, un peu de communisme arrangerait bien des choses.
Est-il encore temps pour l’élection présidentielle du printemps 2022 ?
À l’évidence, sauf coup de théâtre, ça ne va pas le faire. La gauche est en miettes et elle le sera encore plus à l’issue de ce scrutin. Face à ces perspectives, c’est le moment de parler vite et de trouver quelques idées. Nous devons faire face à la puissance des multinationales, mon communisme n’est pas contre les petites entreprises. Le coiffeur ou le maçon du coin avec ses cinq ouvriers, il faut laisser aux individus leur envie d’entreprendre : c’est la grande leçon de ce qui s’est passé dans les expériences communistes, qui étaient d’ailleurs très peu communistes mais soviétiques. Entreprendre dans la vie, c’est être en action, c’est une chose dont on a besoin comme on a besoin de gens qui ne soient pas dans cette démarche : il faut une espèce d’équilibre, entre réussite collective et réussite individuelle. Toujours est-il que je ne crois guère que l’on parvienne à quelque chose d’ici la présidentielle. Même si on pourrait prendre exemple sur ce qui s'est passé autour du Printemps marseillais pour les municipales. Même s'il y a des tas de gens qui font des pressions dans tous les sens mais elles n’aboutissent à rien, les directions de ces partis ne suivent pas… Pour autant, n’éteignons pas le peu de foi qui nous reste : la perdre, c’est être sûr que la désillusion ne reculera pas. Et cela servira dans d’autres espaces.
Ce jeudi 9 à 18 h 30 chez Aglaé et Sidonie, 18 rue Beauvau, Marseille (1er) 06 40 63 07 93 chez.aglae.et.sidonie@gmail.com

Juin 2020, Gérard Meylan et Robert Guédiguian s'engagent pour le Printemps marseillais / Photo Nicolas Vallauri
Juin 2020, Gérard Meylan et Robert Guédiguian s'engagent pour le Printemps marseillais / Photo Nicolas Vallauri

« Twist à Bamako » sortira dans les salles le 5 janvier / DR
« Twist à Bamako » sortira dans les salles le 5 janvier / DR
« Twist à Bamako » en avant-première
Pour son 22e film dont la sortie est prévue le 5 janvier, Robert Guédiguian est parti en terre inconnue, en posant ses caméras en Afrique. Écrit avec Gilles Taurand, « Twist à Bamako » raconte une histoire d’amour au cœur de l’indépendance du Mali. Avec dans les rôles principaux Stéphane Bak, Alicia Da Luz Gomes et Dioucounda Koma, le tournage a été interrompu un temps par la crise du Covid. Le film sera présenté en avant-première le 22 décembre à Marseille, aux Variétés (20 h 15) et à l’Alhambra (20 h) en présence du cinéaste.
Renseignements : lesvarietes-marseille.com et alhambracine.com