"Une nuit, j’ai rêvé de traverser l’Himalaya et je l’ai fait"

François Ragolski, originaire de Digne, est champion du monde de parapente acrobatique

Parcourir le monde et survoler les plus hauts sommets terrestres. C’est le défi que s’est lancé François Ragolski, champion du monde de parapente acrobatique. Le Dignois a volontairement quitté sa casquette de champion pour porter celle d’aventurier, qu’il aime tout autant. Amoureux des grands espaces et toujours assoiffé de nouvelles sensations et de nouveaux défis, il est, une nouvelle fois, parti affronter les majestueuses montagnes de l’Himalaya. Tadjikistan, Pakistan, Népal… sont les pays qu’il a traversés avec comme seuls compagnons son sac à dos et son parapente. Parti le 4 septembre dernier pour 60 jours d’aventure, de découverte, de dépassement de soi, de joie et de peur, mais aussi de rencontres humaines, c’est avec émotion que le champion revient sur son aventure. Après 2 580 kilomètres de vol, des dizaines de rencontres, des incertitudes météorologiques, François Ragolski est de retour en terre alpine, sa terre. Le temps de poser son bagage et de remettre les pieds sur terre, il raconte son expédition en immersion totale avec l’Himalaya.

À quel âge avez-vous débuté le parapente ?

J’avais 17 ans. J’ai testé comme ça, avec un ami qui à l’époque en faisait en sortant du lycée. Et la première fois que je me suis retrouvé dans les airs, j’ai compris que je ne pourrais plus m’en passer. Au bout du troisième vol, j’ai trouvé ça accessible et j’ai eu l’énorme chance de pouvoir très rapidement m’équiper. Je venais de terminer ma première saison de moniteur de ski, et j’avais plus d’argent que je n’en avais jamais eu de ma vie. J’ai alors pu acheter l’équipement dans son intégralité.

Combien de temps est-il passé avant de tenter la compétition ?

En fait, j’ai très vite eu envie de tester des pirouettes, de dompter ma voile pour pouvoir faire des combinaisons, des vols de plus en plus longs… Un jour, j’étais en session d’entraînement en Espagne avec les quatre meilleurs parapentistes du monde. Ils ont tous fait le même constat en m’observant : j’avais toutes mes chances pour me lancer dans la compétition. Ce que je faisais relevait du niveau des dix meilleurs mondiaux. Ça a fait tilt dans ma tête ! C’est vraiment grâce à eux, car je ne me rendais pas compte. Il faut savoir que le parapente est un petit sport où il y a très peu de concurrence et j’ai vite gravi les échelons. C’était nouveau pour moi, car dans tous les sports que j’avais pratiqués avant, l’escalade, l’alpinisme, le ski, il n’y a pas la possibilité d’être opportuniste à 17 ans, de voler deux ans et d’être champion du monde (sourire).

À quel moment de votre carrière avez-vous été le plus performant ?

J’ai eu la chance de me retrouver sur le podium et très souvent premier entre 2013 et 2016. J’ai ensuite décidé d’arrêter la compétition pour me consacrer à l’aventure.

Justement, qu’est-ce qui vous a donné envie de partir à l’aventure ?

Quand on est pilote de voltige, on a une capacité à gérer son parapente qui est très précise, on contrôle totalement la machine. Et je me suis dit "C’est quand même dommage de ne pas se servir de ça pour se promener, pour découvrir, pour voyager…" La plupart des pilotes essaient de parcourir le monde, mais ils n’ont pas le contrôle de leur machine. J’ai la chance de l’avoir. C’est facile pour moi de partir me balader. Et, où partir ? Au Pakistan, là où sont les plus grosses montagnes du monde. Au début, il y a une appréhension, mais on finit par apprivoiser le stress. C’est un terrain de jeu énorme, je ne peux plus m’en passer.

À quel moment décidez-vous de partir survoler les toits du monde ?

Au dernier moment (quatre mois avant). C’est drôle, mais tout s’est décidé au beau milieu d’un rêve. En pleine nuit, j’étais en train de rêver que je survolais l’Himalaya. Réveillé en sursaut, j’ai alors annoncé à ma compagne : "Je pars pour traverser l’Himalaya !" Cette aventure avait déjà été faite par un parapentiste de niveau moyen qui se nomme Blutch (Jean-Yves Fredriksen, Ndlr), qui m’avait² fait rêver au travers d’un film. Je me suis dit, "Si lui peut le faire, pourquoi pas moi !" Comme moi, nous sommes très nombreux à avoir eu le même rêve, mais ce dernier fait peur. Il y a tellement de paramètres qui font que ça peut tourner mal… Il faut être à l’aise pour voyager dans des pays éloignés, il faut savoir parler plusieurs langues, gérer beaucoup de choses au niveau de l’organisation, puis ne pas avoir peur d’être seul… Pour ma part, mon inquiétude c’était que j’avais une sciatique avant le départ. Je me suis rassuré en me rappelant que l’année d’avant j’avais battu le record du monde d’altitude là-bas, et que si tout se passait bien, je n’aurais pas beaucoup à marcher. Cette réflexion m’a permis de relativiser sur la préparation physique qui a été vraiment maigre. Mais il faut vraiment avoir une bonne préparation, c’est important !


En direct de Digne-les-Bains

Durant toute l’expédition François Ragolski sera soutenue par deux personnes en France. Sa compagne Loraine, un soutien mental obligatoire, qui gérera également tout le côté logistique (achat de billets d’avion pour changer de pays, contact avec les ambassades, etc.). Et Fabien Bulh dit monsieur météo et stratégie parapente qui conseillait les itinéraires en fonction des précipitations.

Comment une telle expédition se prépare ?

Il y a, comme je le disais, la préparation physique, que je n’ai malheureusement pas pu faire correctement. Et ensuite l’équipement. Il faut choisir ses chaussettes, ses caleçons, mais aussi sa voile, sa sellette, son duvet… Il faut peser chaque gramme. Ce qui est le plus compliqué et qui m’a pris le plus de temps, c’est de préparer mon sac. Il faut qu’il soit ultra léger, le mien faisait 20 kg (très léger) sans eau, ni nourriture. Cela m’a permis d’avoir un sac qui variait entre 24 et 33 kg durant toute l’expédition.

Quelles sont les trois anecdotes qui vous ont marqué au fer rouge ?

La première, elle m’a terrorisée, c’est la rencontre avec deux ours. J’étais au fin fond du Tadjikistan, il était minuit, ils sont venus gratter à la porte de ma tente. J’ai crié et pris ma lampe frontale, c’est ce qui leur a fait peur. Je suis sorti en hurlant et j’ai couru sans m’arrêter. Et, les ours sont partis ! La journée qui a suivi était très particulière, je volais au-dessus d’une terre en plein affrontements qui avaient fait 24 morts… L’ambiance était pesante, même de là-haut. Je dirais au Népal pour la seconde. Il y avait un gel politique, je n’avais pas le droit de voler comme je voulais. J’ai été obligé de me poser, et quand j’ai atterri, j’ai appris qu’ils avaient rouvert l’accès au vol, sauf que c’était trop tard, j’étais à terre, et pour rejoindre mon point d’atterrissage il a fallu que je marche 1 500 mètres de dénivelé, ce qui m’a pris cinq jours. Le temps était mauvais en plus, c’était dur. Finalement, en troisième, le temps justement. Car durant toute mon expédition, la météo a été compliquée. Il n’y a pas eu un matin où je ne me suis pas dit : "Qu’est-ce que je vais pouvoir tirer de cette météo", et finalement, grâce au matériel, au parapente expérimenté que l’on a aujourd’hui, j’arrive à faire des vols de fou allant jusqu’à 190 km dans la journée alors que ça ne vole pas. Et j’avance quand même… Ce qui est sûr, c’est que j’étais et je suis toujours très étonné des vols que j’ai réussi à faire durant toute l’aventure. Je me suis régalé.

Une météo compliquée donc, comment on tient le coup ?

Ça a été difficile, quand je regardais les prévisions du mois à venir et qu’il n’était annoncé que de la pluie, je me posais beaucoup de questions… J’ai mis les pieds au Tadjikistan le 4 septembre et jusqu’à mon dernier jour, il n’y a pas eu un jour où la météo annonçait des conditions favorables. J’ai tenu 60 jours dans l’incertitude la plus totale de ce qu’allait être mon trajet. À me demander si j’allais réussir à relever le défi que je m’étais posé. Ma chance a été d’avoir un routeur en France qui m’annonçait et me conseillait en direct. Mais c’était déprimant, quand il m’appelait la conversation débutait souvent par "François, je suis désolé, je n’ai pas de bonnes nouvelles à t’annoncer".

2 580

C’est le nombre de kilomètres que l’athlète François Ragolski a parcouru lors de son expéditionà l’automne dernier.