Vaison-la-Romaine : 30 ans après

Entretien avec Claude Haut

Au pont romain, une vague d'eau et de boue de 17 mètres s'était formée, dévastant tout sur son passage. Pris au piège, les riverains n'avaient eu d'autre choix que de se réfugier sur les toits, espérant être secourus par hélicoptère / Archives Mario Botella

Au pont romain, une vague d'eau et de boue de 17 mètres s'était formée, dévastant tout sur son passage. Pris au piège, les riverains n'avaient eu d'autre choix que de se réfugier sur les toits, espérant être secourus par hélicoptère / Archives Mario Botella

Au pont romain, une vague d'eau et de boue de 17 mètres s'était formée, dévastant tout sur son passage. Pris au piège, les riverains n'avaient eu d'autre choix que de se réfugier sur les toits, espérant être secourus par hélicoptère / Archives Mario Botella

Le 22 septembre 1992, jour de la catastrophe, Claude Haut était maire de Vaison-la-Romaine depuis à peine six mois. Jeune élu, il a vécu le drame de sa population de l’intérieur, dû gérer la crise, avant de s’atteler à la reconstruction. Trente ans après, celui qui a ensuite été président du Conseil départemental et sénateur revient sur l’épreuve la plus difficile de sa vie d’élu, sur les lieux où s’érigeait le lotissement Théos, ravagé par les flots. Un épisode qui l’a marqué à tout jamais.

"On ne peut plus dire qu’on ne savait pas"

Comment s’est passée votre journée du 22 septembre 1992 ?

Je suis allé travailler le matin à Sorgues. Il pleuvait mais comme assez souvent quand arrive l’automne. Par contre, quand j’en suis revenu à midi, ce n’était plus de la pluie, c’était des trombes d’eau. Je n’avais jamais vu ça et je ne l’ai toujours plus revu. Les lampadaires étaient allumés. Il faisait nuit. Après coup, on a su que l’épaisseur des nuages était de 13 kilomètres ! Je suis allé déjeuner et vers 14h, ma fille a entendu crier. De là où j’habite, je domine l’Ouvèze et ce que j’ai vu, c’est un lac. Là, je me suis dit que quelque chose n’allait pas mais je ne savais toujours rien. On était coupés du monde.

La suite des événements a été dramatique...

L’eau était répandue de partout. C’est le coup de boutoir sur trois heures entre midi et 15h et l’entonnoir du pont romain, qui a été un boyau canalisé avec une pression énorme.

Vous en parlez, les difficultés de communication n’ont pas permis aux secours de réagir tout de suite.

Les hélicoptères ne pouvaient pas décoller à cause des conditions. Ceux qui ont pu rester sur les toits ont pu être secourus mais certains ont été emportés avec leurs maisons. On était débordés mais il y a eu un grand élan de solidarité immédiat. Tout les sinistrés ont pu être relogés le soir même.
Quand je suis rentré chez moi le soir, je me suis demandé : "comment on va réussir à remettre cette ville en état ?" Je voyais des dégâts de partout, je n’avais pas un centime pour les réparer et je me suis dit qu’il allait falloir taper à toutes les portes.

C’est sur l’espace Théos, là-même où les dégâts matériels et humains ont été les plus dramatiques que l’ancien maire Claude Haut nous a accordé un entretien. / Ange Esposito

C’est sur l’espace Théos, là-même où les dégâts matériels et humains ont été les plus dramatiques que l’ancien maire Claude Haut nous a accordé un entretien. / Ange Esposito

C’est sur l’espace Théos, là-même où les dégâts matériels et humains ont été les plus dramatiques que l’ancien maire Claude Haut nous a accordé un entretien. / Ange Esposito

Un objectif : reconstruire... avec l’aide
du président

Comment arrive-t-on à passer autre chose quand on a vu et vécu de telles choses ?

En se mettant au boulot tout de suite. Il y avait tellement de choses à faire, de gens à aider, qu’on se consacre à ça et on ne pense pas à sa propre situation. Quatre à cinq mois après, j’ai eu des contre-coups, un problème de surdité, mais sur le moment, on se bagarre, il faut faire face à la situation et c’est comme ça qu’on arrive à en sortir : penser aux autres et plus trop à soi.

Vos mandats de maire ont été consacrés à la reconstruction.

Heureusement pas que mais en grande partie. La ville s’est endettée pour quinze ans mais il fallait le faire. L’objectif qu’on a eu tout de suite, c’est de ne pas laisser une ville touristique, qui vit grâce à ça, dans l’état dans laquelle elle était. On a fait une campagne pour faire revenir les gens, leur montrer tous les atouts de la ville. Pour dire vraiment qu’on avait rétabli les choses, il a fallu cinq ans pour le plus gros et une dizaine d’années pour se dire qu’on ne voyait plus ce qu’il s’est passé.

Vous avez aussi dû prendre des décisions difficiles et impopulaires.

Dans les documents d'urbanisme, il était parfois difficile de faire passer des interdictions de construire. Pour éviter que certains se remettent à construire là où le risque est important, parce qu'ils étaient prêts à le faire, quinze jours après le 22, on avait déjà pris une délibération au conseil municipal pour dire que plus rien ne serait reconstruit sur ces terrains. Mais je me souviens d'un homme, qui avait eu sa maison détruite et qui voulait quand même reconstruire au même endroit.

D’autant qu’il a fallu qu’ils soient indemnisés.

On leur interdisait de reconstruire mais on n'avait pas un rond pour les indemniser ! Le combat avec les assurances a alors existé. Elles voulaient indemniser mais pour reconstruire au même endroit. Il a fallu monter des dossiers, ça a duré deux ans, avec l’État, pour que les assurances acceptent de le faire pour que les maisons soient reconstruites ailleurs. On a eu aussi la chance d'avoir la visite du président de la République François Mitterrand en janvier 1993 et avec qui j'avais évoqué ce problème. Son intervention avait été remarquée et efficace. Dans les mois qui ont suivi, ça a été réglé.

En janvier 1993, François Mitterrand s’était rendu sur place pour constater les stigmates et assurer du soutien de l’État. / Ange Esposito
En janvier 1993, François Mitterrand s’était rendu sur place pour constater les stigmates et assurer du soutien de l’État. / Ange Esposito
En janvier 1993, François Mitterrand s’était rendu sur place pour constater les stigmates et assurer du soutien de l’État. / Ange Esposito

"Veiller à ce qu’aucune maison
ne se trouve dans un site dangereux"

C’est sur l’espace Théos, là-même où les dégâts matériels et humains ont été les plus dramatiques que l’ancien maire Claude Haut nous a accordé un entretien. / Ange Esposito

C’est sur l’espace Théos, là-même où les dégâts matériels et humains ont été les plus dramatiques que l’ancien maire Claude Haut nous a accordé un entretien. / Ange Esposito

C’est sur l’espace Théos, là-même où les dégâts matériels et humains ont été les plus dramatiques que l’ancien maire Claude Haut nous a accordé un entretien. / Ange Esposito

Claude Haut, ici devant la stèle commémorative de la catastrophe. / Ange Esposito

Claude Haut, ici devant la stèle commémorative de la catastrophe. / Ange Esposito

Claude Haut, ici devant la stèle commémorative de la catastrophe. / Ange Esposito

Quel rapport entretenez-vous avec l’Ouvèze maintenant ?

Je la vois tous les jours ! Par contre, quand il y a des gros orages, de la pluie, ça vient toujours à l’esprit, je me précipite pour voir si la rivière a monté. Pour l’instant, depuis trente ans, il n’y a pas eu de problème... Mais je ne suis pas fâché avec la rivière, c’est la nature. On peut toujours se dire que s’il n’y avait pas eu ce lotissement, il y aurait eu moins de pertes humaines, c’est vrai. Mais à partir du moment où on n’avait pas la connaissance suffisante, on ne peut pas le reprocher à quiconque. J’exonère les maire de l'avoir eue, on ne peut pas leur reprocher quoi que ce soit.

Quand vous passez sur les lieux, avez-vous toujours une pensée pour ce qui s’est passé ?

Heureusement pas tous les jours. Dans ma vie d’élu, j’ai eu d’autres engagements qui m’ont permis d’avancer, toujours en travaillant pour la collectivité. Je fais partie des gens qui vont toujours vers l’avant et qui ne revienent pas toujours en arrière. Je crois que c’est important dans ces moments-là, de ne pas avoir un caractère à toujours se soucier de comment se sont passées les choses, de savoir si on aurait pu faire mieux... J’ai fait tout ce que je pouvais avec le maximum de volonté pour le faire et je pense qu’on a évité de faire trop d’erreurs.

Est-ce que vous pensez que les leçons ont été retenues ou que malgré tout, on a un peu oublié ?

Je n’ai jamais été un donneur de leçons. C’est très difficile de dire aux autres ce qu’il faut faire. Chaque commune est un cas particulier. Ce qui s’est passé à Vaison s’est passé de cette façon, mais ailleurs ça ne se serait pas passé pareil. Les inondations sont toutes différentes et donc donner des conseils, c’est difficile. Le seul, c’est de dire aux élus chargés de l’urbanisme de toujours bien veiller à ce qu’il n’y ai aucune habitation dans un site dangereux. C’est eux qui font les documents d’urbanisme et c’est donc à eux de bien prendre en compte ce qui risque d’amener un danger pour celui qui construit et qu’il soit prévenu. Il faut veiller à ne pas commettre l'erreur de laisser reconstruire dans des endroits impossibles.
Maintenant on le sait. En 1992, on ne le savait pas, maintenant on le sait. On a mis des panneaux de hauteurs d'eau un peu partout pour sensibiliser. On ne peut plus dire aujourd'hui qu'on ne savait pas. C'est la leçon, je crois, de ce qu'il s'est passé.

Vaison, la prise de conscience du risque

Quand vous êtes devenu maire, aviez-vous conscience d’un risque autour de l’Ouvèze ?

Non. C’était de notoriété publique que par moments, l’Ouvèze sortait un peu de son lit mais c’est tout ce que les gens connaissaient. On n’aurait pas pu laisser construire un lotissement ici si on savait qu’il pouvait y avoir deux mètres d’eau. D’ailleurs, toutes les recherches de reponsabilités n’ont abouti à rien.

Le préfet de l’époque avait été mis en examen, c’est bien ça ?

Oui mais cela avait abouti à un non lieu. Moi je l’ai toujours dit, dès le lendemain de la catastrophe, si j’avais été maire à l’époque, j’aurais fait pareil. Ce qui serait inadmissible, c’est que des maires, à partir de cette époque là, aujourd’hui, ou demain, donnent des autorisations de construire ici. Maintenant on connaît bien.

Car c’est l’événement qui a fait prendre en considération les risques et les dégâts potentiels ?

Ça a été un exemple. Le système d’alerte, de prévision a été nettement amélioré. Il y avait un radar à Nîmes mais il était insuffisant, trop éloigné du Ventoux et un autre a été installé à Bollène. C’est ce qui a fait que la prévision a été meilleure. J’avais reçu un message la veille, le 21 septembre au soir, me disant, qu’il y allait avoir une précipitation importante de 150 mm au sud du Ventoux. Nous sommes au nord. Pour moi, il n’y avait donc pas d’événement particulier. Le problème c’est qu’il y en a eu 300 au nord. Et ça, personne ne nous avait dit quoi que ce soit.

Cette stèle a été réalisée en hommage aux victimes. / Ange Esposito

Cette stèle a été réalisée en hommage aux victimes. / Ange Esposito

Cette stèle a été réalisée en hommage aux victimes. / Ange Esposito