Vivian Maier

Photographe alpine

© Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

© Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

© Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

L'exposition noir et blanc, sur fond gris et "bleu pétrole" saisissant, s’ouvre sur le regard de Vivian Maier. Ses grands yeux ovales, son visage pas vraiment présent et sa solitude. Dans une ambiance douce et feutrée, le visiteur silencieux se laisse ensuite glisser dans les lapsus du réel. Dans ces moments de vie sur les ailes du quotidien, auxquels personne ne prête jamais attention. Dans les entrailles de la rue, l’artiste arrive à saisir les défaillances de l’ordinaire. L’impression d’être ailleurs se renforce. L’image devient une anecdote et la photo une coïncidence. Au fil des instants et des pellicules, le passé refait surface comme si les moments engloutis n’avaient jamais cessé leurs bruits. Le voyage dans le temps s’accompagne d’images en super 8 filmées par Vivian dans les années 1960 et d’enregistrement de sa voix, alors que défile l’Amérique profonde cisaillée de contrastes, de hurlements et de visages burinés. Rien n’échappe à son objectif et son objectif n’échappe à aucun regard. Tristes, sévères, souriants, optimistes, inquiets, délabrés... Vivian Maier capture toutes les expressions, dressant un inventaire tourbillonnant de gestes, d’émotions et d’instants suspendus. Un homme qui attend, des vieilles dames sur un banc, un couple qui s’enlace, des marins flous dans un hall de gare traversé de lumières, un gamin qui escalade un carton, une femme qui crie sur un policier, un bus qui passe, une jupe qui s’envole... Le traveling fonctionne comme si tout se passait exactement au même moment. Dans un long film au ralenti, dont l’intensité et la sensibilité changent l’ordinaire en sublime. Le visiteur finit par perdre ses repères, mais il n’a pas envie de sortir du cadre.

Après les intentions et les pensées, Vivian Maier capture les objets, les regardant de si près qu’ils en perdent leur identité. Les pièces du puzzle se rassemblent de l’infiniment grand à l’infiniment petit. L’artiste dissimulée parle de pauvreté, de misère. Elle raconte les sombres destins, mais aussi la tendresse, l’humour et l’espoir, capables d’apparaître dans les recoins les plus improbables de sa planète. 250 photos délicatement ordonnées dans un espace traversé de sérénité. Une immense réussite pour le producteur italien Edoardo Accattino qui, 20 ans après ses débuts aux Musées Royaux de Turin, réalise selon ses propres termes "la plus importante exposition" de sa carrière. Anne Morin, la commissaire, avait été séduite par le lieu, préférant pour sa deuxième exposition européenne la capitale du Piémont à Milan. Après deux mois d’installation et une belle inspiration, Edoardo Accattino lui a donnée raison. Un mélange délicieux de symétries et d’asymétries, de rires et de larmes. "Je voulais que l’exposition ne soit pas ennuyeuse", explique-t-il. Le producteur visait les étoiles, il a fini par attraper la lune. Plus de 30 000 visiteurs sont déjà passés par Turin pour rencontrer Vivian Maier, et tous ont fini sur un nuage de volupté.

Edoardo Accattino, le producteur de l’exposition Vivian Maier de Turin.

Edoardo Accattino, le producteur de l’exposition Vivian Maier de Turin. / Tanguy Cohen

Edoardo Accattino, le producteur de l’exposition Vivian Maier de Turin.

Immersion au coeur de l'exposition Vivian Maier au Musées Royaux de Turin

Immersion au coeur de l'exposition Vivian Maier au Musées Royaux de Turin

"Elle voulait collectionner
le monde"

La photo de la jeune femme brune au chat à été prise à Chicago. L’image n’est pas datée. / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

La photo de la jeune femme brune au chat à été prise à Chicago. L’image n’est pas datée. / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Quel lien peut-il y avoir entre la "street photography" américaine et l’esthétique humaniste apparue en France dans
l’après-guerre ? Vivian Maier. Quel lien peut-il y avoir entre une grande artiste new-yorkaise qui ignorait qu’elle en était une et le Champsaur, territoire perdu dans les montagnes haut-alpine ? Toujours Vivian Maier. L’histoire la plus folle de la grande Histoire de la photographie. Car, de son vivant, Vivian Maier n’a jamais occupé le devant de la scène. Elle n’a jamais rien revendiqué et pourtant, les presque 150 000 images qu’elle laisse derrière elle constituent l’un des plus immenses témoignages sur la face cachée du rêve américain. Même au-delà du raisonnable, une encyclopédie visuelle de tous les détails qui font respirer le monde.

Le sien, celui qu’elle nous a légué, a vu le jour à New-York en 1926. Sa mère, Maria Jaussaud, est une immigrée française, jeune domestique arrivée sur Ellis Island en 1914 en provenance de Saint-Julien-en-Champsaur. Quand elle se sépare de son mari, elle décide de rentrer au pays. La petite Vivian fait toute sa scolarité primaire dans la vallée. Mais si son enfance se trouve bouleversée lorsque sa mère décide de son retour aux USA, elle construira une large partie de sa vie en s’appuyant sur ses racines haut-alpine.

Le Rolleiflex de Vivian Maier exposé à la Maison de la photographie de Saint-Bonnet-en-Champsaur. / Stéphane Duclet

Le Rolleiflex de Vivian Maier exposé à la Maison de la photographie de Saint-Bonnet-en-Champsaur. / Stéphane Duclet

Le domaine de Beauregard est la maison familiale léguée à Vivian Maier par sa grande tante Marie Florentine Jaussaud. Petite, Vivian y a passé quelques mois. En 1951, la bâtisse a été vendue par l’artiste. C’est cette vente qui a financé son voyage autour du monde à la fin des années 1950. / Stéphane Duclet

Le domaine de Beauregard est la maison familiale léguée à Vivian Maier par sa grande tante Marie Florentine Jaussaud. Petite, Vivian y a passé quelques mois. En 1951, la bâtisse a été vendue par l’artiste. C’est cette vente qui a financé son voyage autour du monde à la fin des années 1950. / Stéphane Duclet

La rue des Maréchaux à Saint-Bonnet. Vivian Maier a vécu dans l’immeuble blanc, juste au dessus de ce qui est aujourd’hui une agence Century 21 et qui était autrefois un buraliste. / Stéphane Duclet

La rue des Maréchaux à Saint-Bonnet. Vivian Maier a vécu dans l’immeuble blanc, juste au dessus de ce qui est aujourd’hui une agence Century 21 et qui était autrefois un buraliste. / Stéphane Duclet

Sans aucun diplôme, devenue gouvernante à Manhattan, elle s’adonne de manière boulimique à sa passion pour la photo, au fil de ses déambulations. Cette exploration méticuleuse de tous les paysages du possible la ramènera plusieurs mois dans le Champsaur en 1950, pour vendre le domaine familial. Puis une seconde fois, en 1959, à la fin d’un tour du monde payé grâce à son héritage et qui l’emmènera de l’Asie à l’Afrique en passant par toutes les Amériques. Posée à Chicago, le récit de sa collection d’images finit par se tarir dans une observation aiguë de l’infiniment petit. Aux prises à des difficultés financières, elle vend aux enchères tous ses biens.

En 2007, John Maloof, jeune agent immobilier, à la recherche d’images pour illustrer un livre d’histoire locale, acquiert ses malles dans lesquelles se trouvent une grande quantité de négatifs, pour un peu plus de 300 dollars. Deux ans plus tard, en fouillant dans ses cartons, il réalise l’ampleur de sa découverte. Une œuvre dormait dans sa cave. Malheureusement, il ne trouve Vivian Maier qu’en 2009, quelques mois après son décès. En janvier 2011, la première exposition sur cette artiste aussi secrète que démesurée fait naître un phénomène planétaire, renforcé en 2013 par la sortie du documentaire Finding Vivian Maier. Les débats du monde de la photo autour de la réalité de son talent n’ont pas abîmé la ferveur du grand public pour cette quête profondément démocratique, qui replace l’art exactement là où il doit être : au milieu du peuple, là où bat le cœur de nos sociétés.

La plus Alpine
des Champsaurines

Digne-les-Bains, le 11 août 1959. / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Digne-les-Bains, le 11 août 1959. / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Vivian Maier est peut-être née à New-York mais toute l’âme de son œuvre est française. Du Champsaur, plus précisément, un pays de montagne, une terre agricole soumise au froid et au labeur, qui lui a sans doute donné la force de regarder la misère dans les yeux.

Mais pour elle la photo est d’abord une histoire de transmission. Quand sa mère se retrouve sans mari, elle se réfugie chez Jeanne Bertrand, une amie de la famille installée dans le Bronx. Chose plutôt rare à l’époque, à 49 ans, cette femme originaire du Dévoluy est photographe professionnelle. C’est elle qui fait découvrir à Vivian et à sa mère sa passion pour la capture d’images.

En 1932, elle retourne en France et découvre le domaine de Beauregard, berceau de sa famille à Saint-Julien-en-Champsaur. Son enfance se poursuit à l’école de Saint-Bonnet et dans la campagne environnante. Période pendant laquelle elle observe sa mère manier un vieux Kodak. En 1938, elle retourne aux USA, mais son histoire avec les Alpes n’est pas encore finie. Car, une dizaine d’années plus tard, elle hérite du domaine familial. En 1950, la jeune femme revient dans le Champsaur pour vendre aux enchères la propriété. Face aux habitants de la vallée, elle fait preuve de caractère et ne lâche pas un centime. Sans doute a-t-elle déjà une idée en tête. Le prix de cette vente lui servira à assouvir sa passion pour les voyages. C’est en 1952 qu’elle se paye son Rolleiflex. En 1956, elle passe de la Grosse Pomme à Chicago et s’installe chez les Gensburg, la famille qui, à la fin de sa vie, l’aidera à subvenir à ses besoins. Mais en attendant, Vivian Maier s’envole pour un grand tour du monde entre 1959 et 1960. Femme libre et indépendante, elle se rend seule au Canada, en Égypte, au Yémen, à Bangkok... Pour finir sa course dans le Champsaur, une dernière fois. Elle explore le pays, à pied et à vélo. Elle s’attaque à ses reliefs et aux photos de paysages, à la couleur même. Ici, chez elle, il n’y a pas d’images "volées".

Au hasard de ses rencontres, elle entre en contact avec ceux qu’elle croise. Une période de sa vie qui montre que Vivian Maier savait faire preuve d’empathie et qu’elle n’était pas refermée sur elle-même. Hommes, femmes, jeunes, vieux, elle dresse un panel de la population de l’époque. Son appareil en bandoulière, elle sillonne le département poussant son chemin jusqu’à Digne-les-Bains en 1959. La collectionneuse d’instants se rend aussi à Marseille. C’est à ce moment de sa vie qu’elle propose au propriétaire du salon de photo de Saint-Bonnet de réaliser des cartes postales. "Trop de travail", lui rétorque le patron qui laisse filer la dame au chapeau vers son destin américain.

 Images et objets exposés à la Maison de la photographie de Saint-Bonnet-en-Champsaur. / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Cinq balades derrière l’objectif
de la promeneuse au Rolleiflex

Vivian Maier, devenue l’emblème d’un territoire, cultivait l’art de rendre visible l’invisible. Et pourtant, jusqu’au début des années 2010, ses passages dans les Hautes-Alpes n’avaient laissé aucune trace. Alors, quand John Maloof, "le découvreur", a fait don d’images au pays d’origine de l’artiste cachée, les bénévoles de l’association Vivian Maier et le Champsaur ont eu l’idée de remettre ses photos là où elles avaient été prises, pour les faire connaitre aux habitants de la vallée et à tous les touristes qui viennent se balader dans le coin. À partir de clichés pris par Vivian Maier, dans les années 50, trente-trois panneaux comportant la photo originale commentée en français et en anglais ont été méticuleusement conçus et installés au plus près de l'endroit de la prise de vue. Des images et des textes qui sont reliés entre eux par cinq circuits décrits dans cinq dépliants disponibles auprès des offices de tourisme de la région, ainsi que dans plusieurs mairies. Ils sont également consultables et téléchargeables sur le site de l’association. Ces balades culturelles peuvent se faire soit à pied, soit à pied et à vélo et même en voiture. Elles permettent de toucher des yeux l’évolution du territoire, tout en se plongeant dans l’objectif de la promeneuse au Rolleiflex. Les marcheurs pourront ainsi découvrir le domaine de Beauregard, la maison familiale dans laquelle la petite Vivian est passée au début des années 1930, avant de la vendre en 1951. Les randonnées savantes, mais pas ennuyeuses, s’arrêtent aussi au coeur de Saint-Bonnet, du Champ de foire aux rues escarpées du centre dans lesquelles l’artiste a vécu jusqu’à l’âge de 12 ans. Une pause est aussi prévue devant son ancienne école, devenue depuis "Maison Blanche" en hommage à la plus Américaine des Champsaurines. Un beau projet soutenu par la Région et financé avec le concours de l'Union européenne.

Trente-trois panneaux comportant la photo originale de l’artiste permettent de retrouver son point de vue. Ces installations constituent cinq circuits sur les traces de Vivian Maier dans le Champsaur. / Stéphane Duclet

Trente-trois panneaux comportant la photo originale de l’artiste permettent de retrouver son point de vue. Ces installations constituent cinq circuits sur les traces de Vivian Maier dans le Champsaur. / Stéphane Duclet

Le dimanche 3 août 2014, les élus de Saint-Julien-en-Champsaur et les membres de l’association ont inauguré une place Vivian-Maier. / Stéphane Duclet

Le dimanche 3 août 2014, les élus de Saint-Julien-en-Champsaur et les membres de l’association ont inauguré une place Vivian-Maier. / Stéphane Duclet

Le magasin photo dans lequel Vivian Maier faisait développer ses clichés est fermé depuis quelques années. Dans les années 1950, une lettre rédigée par l’artiste montre qu’elle souhaitait alors réaliser des cartes postales. Mais sa demande avait été refusée par Amédé, le patron du salon de l’époque, sous prétexte qu’il avait « trop de travail ». / Stéphane Duclet

Le magasin photo dans lequel Vivian Maier faisait développer ses clichés est fermé depuis quelques années. Dans les années 1950, une lettre rédigée par l’artiste montre qu’elle souhaitait alors réaliser des cartes postales. Mais sa demande avait été refusée par Amédé, le patron du salon de l’époque, sous prétexte qu’il avait « trop de travail ». / Stéphane Duclet

La Maison Banche de Saint-Bonnet, ancienne école dans laquelle était scolarisée la petite Vivian. / Stéphane Duclet

La Maison Banche de Saint-Bonnet, ancienne école dans laquelle était scolarisée la petite Vivian. / Stéphane Duclet

Trente-trois panneaux comportant la photo originale de l’artiste permettent de retrouver son point de vue. Ces installations constituent cinq circuits sur les traces de Vivian Maier dans le Champsaur. / Stéphane Duclet

Trente-trois panneaux comportant la photo originale de l’artiste permettent de retrouver son point de vue. Ces installations constituent cinq circuits sur les traces de Vivian Maier dans le Champsaur. / Stéphane Duclet

Item 1 of 4

Le dimanche 3 août 2014, les élus de Saint-Julien-en-Champsaur et les membres de l’association ont inauguré une place Vivian-Maier. / Stéphane Duclet

Le dimanche 3 août 2014, les élus de Saint-Julien-en-Champsaur et les membres de l’association ont inauguré une place Vivian-Maier. / Stéphane Duclet

Le magasin photo dans lequel Vivian Maier faisait développer ses clichés est fermé depuis quelques années. Dans les années 1950, une lettre rédigée par l’artiste montre qu’elle souhaitait alors réaliser des cartes postales. Mais sa demande avait été refusée par Amédé, le patron du salon de l’époque, sous prétexte qu’il avait « trop de travail ». / Stéphane Duclet

Le magasin photo dans lequel Vivian Maier faisait développer ses clichés est fermé depuis quelques années. Dans les années 1950, une lettre rédigée par l’artiste montre qu’elle souhaitait alors réaliser des cartes postales. Mais sa demande avait été refusée par Amédé, le patron du salon de l’époque, sous prétexte qu’il avait « trop de travail ». / Stéphane Duclet

La Maison Banche de Saint-Bonnet, ancienne école dans laquelle était scolarisée la petite Vivian. / Stéphane Duclet

La Maison Banche de Saint-Bonnet, ancienne école dans laquelle était scolarisée la petite Vivian. / Stéphane Duclet

Trente-trois panneaux comportant la photo originale de l’artiste permettent de retrouver son point de vue. Ces installations constituent cinq circuits sur les traces de Vivian Maier dans le Champsaur. / Stéphane Duclet

Trente-trois panneaux comportant la photo originale de l’artiste permettent de retrouver son point de vue. Ces installations constituent cinq circuits sur les traces de Vivian Maier dans le Champsaur. / Stéphane Duclet

San Francisco le 4 novembre 1955. / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

San Francisco le 4 novembre 1955. / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Anne Morin : "L’extraordinaire se situe
dans les profondeurs de l’ordinaire"

Après le Palais du Luxembourg l’an dernier et Turin cette année la responsable de la collection Vivian Maier dans le monde prépare en ce moment une nouvelle exposition qui débutera le 5 août à Séoul

"Il faut rendre hommage à cette dame. Si tu veux le faire c’est pour toi". Anne Morin n’oubliera jamais cette phrase prononcée en octobre 2011 par la directrice de la galerie Howard Greenberg, à New-York. À ce moment précis, elle vient de poser ses yeux sur huit photos de Vivian Maier, avant le film et avant l’éclosion du phénomène international. Huit petites images... Sur les 120 000 clichés dans lesquels la créatrice d’exposition, diplômée de l’École nationale de photographie d’Arles, devra se plonger plus tard pour faire apparaitre l’œuvre de la dame au chapeau. Mais au cœur de cet automne, le moment n’est pas encore venu. Anne Morin est enceinte et le projet est repoussé au printemps. Howard Greenberg, figure incontournable de la photographie, lui ouvre les portes de "la cité interdite", quelques mois plus tard, en mars 2012, alors que les problèmes juridiques liés à la succession de l’artiste ne sont pas encore réglés. "C’était une immersion totale. J’ai regardé ces images 6 à 8h par jour. Il fallait s’asseoir au milieu, contempler jusqu’à ce que quelque chose cède dans cet amas désordonné, dans ce fouillis impossible. Et finalement, petit à petit, une cartographie s’est dessinée", se souvient celle qui détient aujourd’hui l’exclusivité du fonds d’images de Vivian Maier dans le monde.

Après la première exposition, toujours en 2012, puis la sortie du film, quelques mois plus tard, la nanny photographe est devenue une icône planétaire. "La réponse du public était presque préoccupante. Il y avait des bus qui voyageaient de nuit pour voir ses photos, des gens qui passaient quatre heures sous la pluie. Des personnes venaient même sonner chez moi", se souvient la commissaire. Même posthume, sa revanche sur l’injustice est devenue celle de tous les oubliés de la terre, et son talent brut, né sur les trottoirs des quartiers populaires, représente le passage de l’invisibilité à la lumière. Comme ce rêve du quart d’heure de gloire devenu, sur tous les réseaux, le symbole de notre société contemporaine. "Son histoire ne touche pas que les photographes amateurs. Les femmes se reconnaissent aussi en elle. La gouvernante moins que rien qui accède à l’unicité au sublime. Ça, ça fait vibrer les foules".

Anne Morin en lien avec la galerie d’Howard Greenberg à New-York détient aujourd’hui l’exclusivité du fonds d’images de Vivian Maier dans le monde. / Photo DR

Anne Morin en lien avec la galerie d’Howard Greenberg à New-York détient aujourd’hui l’exclusivité du fonds d’images de Vivian Maier dans le monde. / Photo DR

Anne Morin en lien avec la galerie d’Howard Greenberg à New-York détient aujourd’hui l’exclusivité du fonds d’images de Vivian Maier dans le monde. / Photo DR

New York, mai 1953 / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

New York, mai 1953 / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Vivian Maier les yeux dans les yeux

Face à cette folie, "face à cette histoire hollywoodienne d’une puissance incroyable, il fallait faire quelque chose de sérieux, construire un truc. Car, si on enlève la dimension Disneyland, on découvre une œuvre d’une densité faramineuse", témoigne Anne Morin, avant d’évoquer le sommet de ce projet qui a pris corps, de septembre 2021 à janvier 2022 au Palais du Luxembourg, puis depuis février dernier au musei Reali de Turin. Deux expositions sœurs, conçues par la "gardienne du trésor", qui ne se sont pas contentées de montrer un morceau de cet immense "inventaire du monde" dressé par Vivian Maier. À travers le choix des images, et de la trajectoire qu’elles composent, Anne Morin a fait apparaitre toutes les influences qui traversent la quête vitale de cette collectionneuse d’instants. "La culture française circule dans son œuvre. Une dimension de photographie humaniste. L’autre est au centre de l’image. Il y a du Doisneau, du Bresson qui photographiait les Français au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, dans un pays dévasté, pour dire, à travers les moments capturés, que tout n’était pas perdu. Il y a de l’espoir chez Vivian Maier, de l’humour aussi, dans l’ordinaire et dans le banal. Elle établit un rapport de compassion avec les autres. Le regard qu’elle porte contient une dimension cinématographique qu’elle emprunte à la Nouvelle Vague. Les petits détails sont les vrais protagonistes. Chacun d’eux peut contenir l’immensité. Avec elle, nous ne sommes pas dans la société du spectacle américaine. "L’extraordinaire se situe dans les profondeurs de l’ordinaire", glisse la commissaire passionnée. À Paris, Turin et à Seoul, à partir du 5 août, les expositions orchestrées par Anne Morin matérialisent la rencontre entre le regard de Vivian Maier sur le monde et notre époque contemporaine. "Il y a 20 ans ce n’était pas le moment. Aujourd’hui, oui. On peut considérer que Vivian Maier est la mère du selfie, de tout ce qui circule sur Instagram". Comme si sa façon d’explorer ce qui compose chaque seconde répondait à la crise d’identité qui habite notre temps. "Sa pratique de la photo est contemporaine et sa signature est emblématique" poursuit Anne Morin, en référence à son ombre et à son chapeau. Voilà sans aucun doute ce qui crée une forte proximité entre le grand public et l’œuvre de Vivian : dans chacune de ses images les gens arrivent à se voir.

Le combat des adhérents de l’association
Vivian Maier et le Champsaur

"Elle a vécu sa vie de femme
comme elle le voulait"

Anne Morin, la commissaire des expositions Vivian Maier, dit d’eux qu’il sont de "belles personnes, intègres et que tout ce qu’ils font, ils le font avec le cœur". "Eux", ce sont les adhérents de l’association Vivian Maier et le Champsaur. Marie Hugues, la présidente ; Alain Robert, le trésorier photographe ; Tony Hugues, le secrétaire... Et plein d’autres habitants de la vallée, dont le seul but est de "valoriser et promouvoir" le Champsaur et le fonds d’une centaine d’images et de 60 planches contact donné en 2011 et 2013 à la commune de Saint-Julien par John Maloof, l’homme qui a découvert leur Vivian. "Ils l’aiment, ils la défendent", poursuit Anne Morin. Pour ce faire, ces bénévoles fascinés par le regard de l’artiste "américano-alpine" sur leur pays organisent des expositions, des interventions dans les écoles, des concours... Toutes formes d’animations capables de perpétuer la mémoire de celle qui en seulement deux passages, l’appareil à la main, a su sublimer le terroir et ses habitants. L’association a imaginé d’abord des cycles de résidences d’artistes, mis en place avec la Communauté de communes. Cinq circuits de découverte ont été tracés autour de Saint-Bonnet et Saint Julien, adossés à la création de 33 panneaux montrant et racontant l’histoire de ses photos champsaurines. Moins d’un an après l’inauguration d’une rue à son nom dans le 13e arrondissement de Paris, les ambassadeurs haut-alpins de la femme au chapeau ont réussi à pousser le Conseil municipal à rebaptiser le collège de Saint-Bonnet en "collège Vivian Maier".

Autant d’actions visibles dont le but est aussi de montrer au grand public que la dame au Rolleiflex n’était ni froide, ni indifférente, ni atteinte d’une maladie mentale, comme le disent certains commentateurs. "Elle n’avait pas de budget pour tout développer. En 1959, elle donnait des tickets aux gens. Elle avait aussi le projet de faire des cartes postales, qui avait été repoussé alors par le photographe du village. Elle composait ses images en allant vers les autres. Elle était indépendante, elle a vécu sa vie de femme comme elle le voulait. Elle s’intéressait à tout", explique Alain Robert. "C’était une boulimique, elle voulait collectionner le monde, comme le dit l’artiste italien Roberto Carlone", poursuit Tony Hugues. Ces passionnés racontent partout où ils le peuvent le regard de Vivian Maier, sa façon de montrer les gens avec humour et sans ironie. "Elle avait le regard de l’aigle, elle voyait tout de suite ce qu’il fallait voir. Les paysans de la vallée l’appelaient "l’Américaine" et les Américains la surnommaient "la Française". En ce sens, elle était universelle. C’était une femme libre".

1. Alain Robert, trésorier de l’association et photographe amateur, en compagnie de Tony Gay, secrétaire. Les deux hommes sont  devant l’un des panneaux installés pour raconter l’histoire des images de Vivian Maier. Celui-ci est posé devant la Maison Blanche, bâtiment qui abritait autrefois l’école dans laquelle l’artiste était scolarisée en 1932.

"Vivian Maier m’a pris en photo en 1959"

C’est en 1959 que le petit Rolland Mazet, à peine 10 ans, s’est vu photographier par une femme de grande taille avec un drôle d’appareil carré autour du cou. Vivian Maier, de passage à La Fare-en-Champsaur, enclenche son Rolleiflex et tire le portrait du petit garçon. La mémoire et le temps ont fait oublier cet instant à Rolland jusqu’à ce que l’œuvre de l’artiste promeneuse soit révélée au grand jour. Aujourd’hui âgé de 69 ans, Rolland Mazet tient un concessionnaire automobile dans les Hautes-Alpes.

En 2011, une exposition sur l’œuvre de Vivian Maier, à peine découverte, est organisée dans la commune de St-Bonnet. Son ami Jean-Pierre Eyraud, ancien maire de la commune lui téléphone. "Il m’a dit qu’à une exposition il avait vu une photo qui me ressemblait. Il a alors pris la photo et est venu me la montrer", se souvient Rolland. Mais l’homme ne se reconnaît pas immédiatement. "C’est compliqué de se souvenir à quoi on ressemblait, j’ai fait des recherches et comparé avec d’autres photos". Quelque temps après, c'est l’une  de ses amies, Catherine, elle-même photographe qui le reconnaît. “Je crois que je t’ai vu quand tu étais petit à une exposition de Vivian Maier” m’a-t-elle dit. Donc par recoupement, j’en ai conclu que c’était bien moi”. Rolland finit par aller voir cette exposition. Le doute n’est plus permis. "Ni moi, ni mon entourage ne nous souvenons du moment précis où Vivian Maier m’a pris en photo. Ça n’a pas changé ma vie, mais j’étais content de voir cette photo".

Instants capturés

Soixante ans plus tard, Rolland Mazet peut garder en mémoire son visage de petit garçon grâce à Vivian Maier. Cette "petite dame" qui "avait du gaz", comme se souviennent encore quelques anciens : "Lorsque nous revenions de la messe, elle s’arrêtait au bord du torrent, admirait les sculptures de glace qui tapissaient le cours d’eau, nous demandait de venir au bord de la rivière pour prendre des photos. Nous acceptions alors que le froid était terrible. Rien ne l’arrêtait", confiait Marius Pellegrin aux bénévoles de l’Association Vivian Maier et le Champsaur. "Elle nous prenait en photo en toute occasion. Un jour, je tenais un petit chat dans les bras, elle a multiplié les clichés alors que je posais devant la porte de la maison familiale". Les animaux de la ferme, les paysages alentours… Vivian Maier veut tout voir, tout attraper. Elle gravit les montagnes, capture les sommets et les cols, si bien que certains villageois finissent par l’appeler "l’espionne". Alors qu’elle se livre toute entière à sa passion, les paysans absorbés par les travaux de la ferme du matin au soir ne comprennent pas qu’on puisse mettre autant d’énergie dans une activité de loisir. A cette époque il leur était également impossible d’imaginer quel serait le destin de tous ces instants capturés.

Ann Marks : “Vivian était une ardente
et bruyante féministe”

Ann Marks a passé trente ans en tant que cadre supérieur dans de grandes entreprises.  Une fois à la retraite, elle s’est donné pour mission de retracer l’histoire de Vivian Maier. De ces six années de recherche, l’américaine en a tiré un livre : "Vivian Maier révélée, enquête sur une femme libre", publié en 2021 aux éditions Delpire & co. 

Pourquoi avez-vous décidé de faire des recherches sur l'histoire de Vivian Maier ? 

Le déclic a été de regarder le documentaire "Finding Vivian Maier". Bien sûr, j'ai adoré les photographies, mais j'ai été surprise que John Maloof ne soit pas parvenu à trouver quoi que ce soit sur la famille proche de Vivian, ses années à New York et ses ambitions photographiques. Les adjectifs utilisés pour décrire Vivian par ceux qui la connaissaient étaient également déroutants.

Vous n'êtes pas historienne de formation, a-t-il été difficile de tout rassembler ?

Le problème n'était pas ma formation, car j'ai beaucoup d'expérience en matière de recherche. Le plus grand obstacle a été de trouver des informations historiques car la famille était très secrète et falsifiait souvent les documents. Alors que je pensais qu'il serait difficile d'obtenir des documents de France, le merveilleux conservateur Frédéric Robert des archives de Gap a travaillé sans relâche pour m'aider à tout trouver.

Comment avez-vous construit le livre ?

J'ai commencé par les années new-yorkaises parce qu'on n'avait jamais trouvé de personnes ayant connu Vivian dans cette ville, alors même que c'est là qu'elle a passé presque toute son enfance et le début de sa vie d'adulte.  C'est aussi là que la plupart de ses premières photographies ont été prises. J'ai donc commencé par établir, grâce aux informations publiques, l'arbre généalogique des parents de Vivian vivant à New York. J'ai été très surprise de découvrir que les 10 membres de sa famille étaient enterrés à 9 endroits différents. J'ai immédiatement compris que quelque chose de grave était arrivé à cette famille, car elle était tellement fracturée qu'elle était séparée pour l'éternité.  À partir de là, j'ai retracé la vie de chaque membre de la famille, de la naissance à la mort, en utilisant des documents provenant de très nombreuses sources.

Aviez-vous un contrat d'exclusivité pour faire ce livre ? Comment cela s'est-il produit ?

À l'origine, j'ai écrit ce livre parce que les propriétaires des images, John Maloof et Jeffrey Greenberg, m'ont donné accès à leurs archives pour écrire une biographie objective. Je suis devenue la seule personne au monde à pouvoir consulter les archives de Vivian, qui comptent 140 000 images. Pendant que j'écrivais le livre, j'ai trouvé un agent et j'ai présenté le livre.  Un certain nombre d'éditeurs étaient intéressés, alors il y a eu une vente aux enchères et j'ai choisi Simon & Schuster.

Combien de temps vos recherches ont-elles duré ?

Elles ont duré 5 ans.

Qu'avez-vous découvert dans le Champsaur ?

Mon voyage dans le Champsaur a été précieux à bien des égards. J'ai vu de mes propres yeux où Vivian a vécu et photographié. L'aspect le plus important a été mes entretiens avec des personnes qui connaissaient Vivian.  Marie Hughes, la présidente des Amis de Vivian Maier, m'a présenté à de nombreux parents et amis de Vivian. Il est intéressant de noter qu'ils se souvenaient tous très bien d'elle depuis tant d'années et leurs descriptions détaillées ont fait une grande différence.  Je suis arrivée juste à temps, car la plupart des personnes qui m'ont aidée avaient plus de 90 ans et sont décédées depuis.

L'héritage français de Vivian était très important pour elle, et elle donnait à tout le monde l'impression d'être née en France. Même son certificat de décès l'indique. Elle a passé ses années de formation de 6 à 12 ans dans le Champsaur et c'est le seul endroit où elle est allée à l'école. Toutes ses sensibilités ont été influencées par la culture locale.  Même à l'âge de 80 ans, elle écrivait encore des notes pour elle-même en français.   

Quelle place occupe le Champsaur dans l'histoire de la photographie de Vivian Maier ?

L'expérience du Champsaur a été cruciale car c'est là que Vivian a acheté son premier appareil et s'est mise à la photographie. Elle avait une relation professionnelle très forte avec Amadee Simon, propriétaire du magasin de photographie de Saint-Bonnet, qui a d'ailleurs fermé il y a quelques années. C'est lui qui a appris à Vivian à développer ses pellicules et à tirer ses images.  Elle préférait nettement son travail à celui de son imprimeur à New York.  Les photographies du Champsaur révèlent que Vivian s'est lancée dans la photographie, du moins en partie, comme dans une entreprise commerciale. Elle a laissé derrière elle de très nombreuses cartes postales de paysages du Champsaur qu'elle avait l'intention de vendre ce qui n’a jamais abouti. Près de la moitié des tirages vintage trouvés dans ses placards étaient destinés à des cartes postales de paysages.

Que diriez-vous du travail de recherche et de transcription de John Maloof ?

Ma vision n'est pas différente, elle s'appuie sur ce que John a appris, et ça explique l'enfance et les excentricités de Vivian.  John dit que mon travail commence là où le sien s'est arrêté.

L'histoire de Vivian Maier est-elle celle d’une émancipation ?

Oui, je pense que c'est une très bonne perception. Vivian était enfermée dans une famille très perturbée et souffrait d'une carence affective presque totale. Son père, sa mère et son frère ont tous connu une fin très triste. Vivian a eu la force intérieure et le courage de s'élever au-dessus des circonstances et de se créer une nouvelle vie séparée.  Elle aimait être une nounou et prendre des photos. Elle aimait les voyages, le cinéma, le théâtre, la musique, l'art et les livres et a vécu une vie bien remplie.

Ne pensez-vous pas que votre lecture féministe des années 50 est peut-être une projection de vos propres croyances ?

Vivian était une ardente et bruyante féministe. Quand elle est arrivée chez les Gensberg en 1956, elle a affirmé que les femmes pouvaient faire tout ce que les hommes pouvaient faire. Et c'est ainsi qu'elle a vécu toute sa vie. Elle a également été militante et a soutenu d'autres femmes en participant à des marches féministes et en aidant les femmes afro-américaines à avoir accès à l'avortement et à la contraception.

Comment votre livre a-t-il été accueilli ?

Heureusement, il a été très bien accueilli.  La version française est sortie en premier en novembre 2021, et elle en est à sa troisième impression.  À ce jour, le livre est traduit en 8 langues.

Le monde de la photographie acceptera-t-il Vivian Maier comme faisant partie de son histoire ?  

Je l'espère, mais c'est plus difficile qu'on ne le pense, en particulier aux États-Unis. De nombreux musées ne s'intéressent qu'aux photographies imprimées par l'artiste, de sorte que leurs décisions se reflètent dans l'œuvre finale.  Ce n'est pas possible dans le cas de Vivian Maier, car elle a mis en vente ses images en masse. Quelle que soit la qualité de son travail, elle est pénalisée à cause de cette notion historique. Si l'on y réfléchit, son travail répond à un standard plus élevé car il n'y a pas de recadrage. Chaque image est imprimée plein cadre, telle que Vivian l'a vue dans son viseur.

Turin, 1959

En 1959, Vivian Maier passe une journée à Turin juste après son grand tour du monde.
On ne sait pas pourquoi. Elle y prend quelques photos et cinq films. L’image ci-dessous a été choisie spécialement pour l’exposition du musei Reali. Edoardo Accattino, le producteur, raconte que son père était lui-même policier à Turin à cette époque précise et qu’en voyant
cette image il a reconnu l’un de ses anciens collègues. L’homme est toujours vivant aujourd’hui.

/ © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Un roman graphique "à la surface d’un miroir"

Paulina Spucches a eu une idée lumineuse. Choisir une photo de Vivian Maier, la dessiner à l’aquarelle et raconter avec une finesse l’histoire qui va avec. L’illustratrice de 22 ans y a ajouté une exécution légère, toute en nuance, agréable à lire et à regarder. Son roman graphique vagabonde autour de la vie de l’artiste, entre réalité et fiction. Une jolie porte d’entrée pour découvrir son univers, en oubliant un peu le noir et blanc. Paulina Spucches met de la couleur dans la vie de Vivian Maier. Elle réalise avec elle ce que la photographe saisissait dans ses images, un gros plan sur les détails de sa vie, non pas pour dire ce qu’elle était mais pour raconter ce qu’elle aurait pu être. La dessinatrice imagine aussi l’envers du décor de certains clichés célèbre, comme celui des hommes saouls assis par terre, à New-York, en 1952. Ce qui se passe avant et après la prise de vue. Vivian Maier se trouve replacée dans son univers, décrite avec équilibre comme un personnage secret mais sensible. La précision des dessins, notamment ceux représentant les Alpes attestent de la densité des recherches réalisées par l’auteur qui s’est plongée avec passion dans la vie de la photographe, jusqu’à saisir ce qui l’animait. Une compréhension jusqu’au bout des pinceaux qui apparait de manière limpide quand la Vivian du livre explique pourquoi elle refuse de rester dans les montagnes du Champsaur : "Il y aurait trop de choses qui se passeraient sans que je ne puisse les voir". Paulina Spucches a retranscris avec délicatesse de nombreux ressorts de l’œuvre de Vivian Maier. Son livre s’achève à la fin des années 2000, avec l’arrivée de John Maloof "le découvreur" chanceux de cette immense collection d’instants. "L’accumulation de toute une vie", "ça nous donne presque le vertige", dit-il, avant de se perdre au milieu des passants. L’ultime scène de son film dessiné montre une Vivian âgée, exactement comme on l’imagine, rude à l’extérieur et tendre dans l’intimité. Une Vivian touchée par la réception d’une lettre qui esquisse un sourire en pensant au passé et à ce que sa passion dévorante aujourd’hui éteinte à pu transmettre à l’une des personnes qui ont croisé sa vie. C’est à ce moment que le lecteur se dit :" Si seulement elle avait su".

Du 1er juillet au 18 septembre Maison de la photographie Vivian Maier - Pisançon 05500, Saint-Bonnet-en-Champsaur / Stéphane Duclet

Du 1er juillet au 18 septembre Maison de la photographie Vivian Maier - Pisançon 05500, Saint-Bonnet-en-Champsaur / Stéphane Duclet

Des enfants et des paysages – Saint-Bonnet-en-Champsaur accueille deux expositions cet été

Le regard de Vivian Maier se transmet d’une génération à l’autre. L’an dernier, le photographe marseillais Vincent Beaume s’est immergé 5 semaines à temps plein dans les paysages de Vivian Maier, histoire de poser la question de leur évolution. L’artiste a déambulé sur les traces d’une autre artiste, à pied et à vélo, retrouvant les lieux où s’était posé son objectif. D’image en image, Vincent Beaume a dessiné son propre chemin en suivant la rivière du Drac blanc, tout au fond de Champoléon jusqu’au moment où la vallée du Champsaur se trouve rattrapée par le XXIe siècle. Laissant la photo s’imposer d’elle-même, au fil des sentiers, il raconte la manière dont l’homme prend possession du territoire et comment la montagne immobile résiste au temps qui passe. Après plusieurs semaines de travail, passées à tracer son parcours visuel, Vincent Beaume a sélectionné d’abord 240 images présentées aux responsables de l’association Vivian Maier et le Champsaur. Dans un second temps, 25 photos ont été conservées pour constituer l’exposition intitulée "Chemin [le Drac]" qui s’installera à Pisançon, au dessus de la Maison de la photographie, du 1er juillet au 18 septembre.

Vincent Beaume, spécialiste des "reportages sociaux", a travaillé
à La Provence dans les années 2000, avant de décider de voler de ses propres ailes. Depuis dix ans, il se concentre sur les paysages, en développant le concept du "cheminement". Vincent Beaume avait notamment fait danser ses images dans le cadre du festival de Chaillol, en mariant son inspiration à celle d’un compositeur. Son retour dans les Hautes-Alpes aura été pour lui l’occasion d’aller encore plus loin dans les entrailles des reliefs, mais aussi de découvrir cette partie méconnue de l’œuvre de Vivian Maier. "Elle n’est pas seulement une photographe de rue. J’ai été surpris par la qualité de son travail. Il est vrai que Vivian Maier n’a jamais sélectionné ses images, ce qui représente aussi une partie importante du travail de photographe pour construire un récit. En revanche, sa maitrise du boitier et son sens du cadrage, de la profondeur de champ sont incontestables. Sa proximité et son rapport aux gens sont exceptionnels. Pendant ces semaines de résidence, j’ai essayé de me mettre dans son regard", détaille Vincent Beaume. Le vernissage de son exposition aura lieu le même jour que celui de l’exposition de l’association Vivian Maier et le Champsaur : "Les enfants sur le chemin de Vivian Maier". Autant de portraits ou de scènes qui dévoilent la multiplicité des émotions qu'elle a su déceler au cœur du regard des enfants.

New York, mai 1953 / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

New York, mai 1953 / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

New York, mai 1953 / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Images et objets exposés à la Maison de la photographie de Saint-Bonnet-en-Champsaur. / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Images et objets exposés à la Maison de la photographie de Saint-Bonnet-en-Champsaur. / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Images et objets exposés à la Maison de la photographie de Saint-Bonnet-en-Champsaur. / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Planche contact donnée par John Maloof à l’association Vivian Maier et le Champsaur, exposée à la Maison de la photographie de Saint-Bonnet. / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Planche contact donnée par John Maloof à l’association Vivian Maier et le Champsaur, exposée à la Maison de la photographie de Saint-Bonnet. / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Planche contact donnée par John Maloof à l’association Vivian Maier et le Champsaur, exposée à la Maison de la photographie de Saint-Bonnet. / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Item 1 of 3
New York, mai 1953 / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

New York, mai 1953 / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

New York, mai 1953 / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Images et objets exposés à la Maison de la photographie de Saint-Bonnet-en-Champsaur. / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Images et objets exposés à la Maison de la photographie de Saint-Bonnet-en-Champsaur. / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Images et objets exposés à la Maison de la photographie de Saint-Bonnet-en-Champsaur. / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Planche contact donnée par John Maloof à l’association Vivian Maier et le Champsaur, exposée à la Maison de la photographie de Saint-Bonnet. / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Planche contact donnée par John Maloof à l’association Vivian Maier et le Champsaur, exposée à la Maison de la photographie de Saint-Bonnet. / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Planche contact donnée par John Maloof à l’association Vivian Maier et le Champsaur, exposée à la Maison de la photographie de Saint-Bonnet. / © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY